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“Des dinosaures et des Gallois”

Ce carnet de voyage fait partie d'un périple plus vaste. Reprenez-le depuis le début ! C'est ici : « Un Festival de Palmes ».
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Chaud devant ! C'est par le tunnel désaffecté du Ferrocarril Central del Chubut1 que nous déboulons {ou feignons de débouler} à Gaiman, grosse bourgade sise sur les rives du Río Chubut.

1 Ferrocarril Central del Chubut = Chemin de Fer Central du Chubut, ligne ferroviaire fondée en 1884 afin de relier Gaiman au port atlantique de Puerto Madryn. Elle fut plus tard étendue vers l’ouest jusqu’à Dolavon, puis La Plumas, atteignant une longueur de 242km au départ de Puerto Madryn. La ligne fut nationalisée en 1922, et périclita en 1961.

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La briquette y est de rigueur. Ajoutée à la méticulosité des jardins et des plates-bandes, on se croirait dans quelque recoin du Pays de Galles
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Quelle coïncidence ! {oui, nous avons décidé de placer cet album sous le signe de la feinte la plus astucieuse...} Nous sommes justement tombés sur une colonie galloise !
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Signe distinctif : forte densité de casas de té, ou “salons de thé”, dont les noms énigmatiques évoquent moins de tristes trolls que de placides grands-mères.
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L'intérieur, d'ailleurs, en est généralement délicieusement suranné et copieusement sucré – on aura l'occasion de vérifier plus loin cette prédilection pour les douceurs.
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Les propriétaires ne font pas mystère de leurs origines, dont ils se réclament fièrement – le rubicond Y Ddraig Goch crache ses flammes en long, en large et en drap vert.
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Partout, le souvenir ému {pour ne pas dire naïf} de leurs aïeux, débarqués par le Mimosa un beau jour de juillet 1865 – ils venaient chercher en Patagonie ce que la Grande-Bretagne rechignait à leur garantir : la liberté, religieuse et linguistique. {On en a déjà parlé ici.}
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Sur ces bonnes paroles, on s'installe, on commande l'incontournable thé, qu'escortent les non moins traditionnelles pâtisseries galloises. On se laisse prendre au rituel avec toute la distinction requise.
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La sixième tranche de torta galesa passe avec difficulté, sans doute entravée par le budín de calafate, à moins que les biscochos aient cimenté l'œsophage – on aimerait roter à son aise. Mais l'on n'ose.
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Nous lorgnons quelque secours du côté des pieuses broderies, dont nous avions d'abord cru qu'elles figuraient une collection d'ateliers industriels – mais il s'agissait d'églises. L'idée d'une balade digestive en découle logiquement.
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Nous véhiculons donc piteusement nos estomacs meurtris par les pistes qui quadrillent la vallée du Río Chubut, oasis de fertilité au cœur d'une steppe vorace qui dévore les coteaux environnants.
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Mais si le moindre lopin de terre est précieux, on n'en gaspille pas moins quelques bons hectares pour y élever une ribambelle de chapelles ; ici, c'est la Bryn Crwn {ou Colline Blanche} des Méthodistes Calvinistes, datant de 1900 ;
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plus loin, à La Angostura, la Congrégation Protestante Indépendante a bâti la chapelle Salem, en 1912, unique en son genre avec son revêtement de zinc ;
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et ici, voici Bethel {1913}, œuvre d'une autre congrégation, celle dite des Protestants Unis de la Vallée... Qui s'étonnerait encore que le tea-time gallois comporte autant de pâtisseries différentes, s'il faut que chacun à chaque instant y trouve sa préférée ?
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Il en va pareillement avec les cultes. Qu'un pasteur fasse preuve d'excentricité, et le lendemain la moitié de sa paroisse a fait sécession et posé les fondations d'une nouvelle église dans le champ d'à-côté. C'est comme ça qu'on se retrouve avec rien moins que 16 boutiques !
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Il n'est pas jusqu'aux Anglicans qui, ayant quitté les îles britanniques pour on ne sait quelle raison, aient édifié la leur, Saint David {1917}, un peu là avec son porche et son clocheton rose bonbon. Ah non, qu'on ne me parle plus de sucreries !!
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Mais puisque vous insistez, remettons-ça ! Le déjeuner du lendemain se conclut sur un modeste budín de pan, qu'un vrai connaisseur ne saurait accompagner de dulce de leche ou de crema – mais bien des deux à la fois.
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Les rouages de nos estomacs se portent heureusement mieux que ceux de cette antique machine à vapeur, qui alimentait jadis le moulin attenant au restaurant de Dolavon où nous venons de faire bombance, le bien nommé “La Molienda”.
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Pour éliminer le surplus de calories, sus au Parc Bryn Gwyn, magistral traité de géologie et de paléontologie à ciel ouvert, gravé par le Río Chubut. Les sols rougeâtres du premier chapitre, consacré à la formation Sarmiento, évoquent l'antédiluvienne savane1 où gambadaient nombre de marsupiaux.

1 Avant que la Cordillère des Andes ne s’élève, la Patagonie bénéficiait des vents du Pacifique porteurs d’abondantes précipitations. Par ailleurs, la position géographique moins australe qui était la sienne à cette période lui dispensait les faveurs d’un climat tropical. D’où le développement d’une ample forêt tropicale, entrecoupée de grandes étendues de savane, écosystème caractéristique de la formation Sarmiento. Soudain, la surrection des Andes réduisit drastiquement l’approvisionnement en précipitations depuis le Pacifique, et l’activité volcanique concomitante se chargea de calciner toute espèce de végétal et d’asphyxier le plus de bestiaux possibles. Enfin, la dérive des continents prit un malin plaisir à flanquer la Patagonie au réfrigérateur. Les transgressions marines annihilèrent les derniers survivants. La Patagonie n’est plus ce qu’elle était…

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A mesure que l'on grimpe, les couches sédimentaires s'éclaircissent, témoignant du va-et-vient des transgressions marines – sous les cloches protectrices, les fossiles de mammifères marins remplacent les quadrupèdes. C'est la formation Gaiman.
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Alors que nous approchons du rebord du coteau, la brune formation Puerto Madryn évoque un regain de douceur apporté par les eaux tièdes d'une mer tropicale, peuplée de requins gigantesques. Puis, une couche d'inévitables rodados patagónicos1 conclut l'ascension.

1 Rodados patagónicos = gros cailloux patagons, dont un tapis recouvre d’immenses portions de la Patagonie ; ils constituent l’ultime couche sédimentaire en date, élaborée par les courants fluviaux et fluvio-glaciaires qui ont labouré la région durant le dernier million et demi d’années.

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Pour couronner notre effort, un vent désobligeant nous rabroue comme des malotrus. La désolation du panorama, où le monte fait place progressivement à la steppe, n'est qu'à peine nuancée par les peupliers gallois qui, dans le lointain, signalent le lit actuel du Chubut.
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Pour reposer nos yeux éblouis et ensablés, nous apprécions la pénombre du Musée Egidio Feruglio de Trelew, la capitale des colonies galloises du Chubut. Des dinosaures s'y adonnent à des pitreries en ombres chinoises.
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Plus raisonnable, la coquille d'une ammonite attend sagement que son locataire rentre à la maison – avec son mètre quatre-vingt de diamètre, on préfère ne pas croiser le tentaculaire quidam...
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Laissant sauriens et mollusques à leur lointain Mésozoïque, nous défrisons la chronologie jusqu'à l'Oligocène, époque bénie où l'on pouvait croiser ce charmant fororraco1, joli zozio de 300 kilos et 2 mètres de haut, davantage friand de gras herbivores que de lombrics.

1 Paraphysornis brasiliensis, pour les intimes

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A quelques millions d'années près, il aurait pu croiser ces sympathiques marsupiaux, moins inoffensifs que leurs arrières-neveux les kangourous et koalas... « Couché, Achlysictis1 ! »

1 Il ne faut pas confondre cet Achlysictis lelongi avec le fameux “Tigre aux dents de sabre”, bien que leurs quenottes soient pareillement menaçantes et que tous deux aient la morphologie d’un gros félin. Appartenant à la même classe des mammifères, le premier toutefois est un marsupial d’Amérique du Sud tandis que le second est un placentaire d’Amérique du Nord : différence radicale ! Leur indéniable et troublante similitude morphologique est un exemple notoire d’évolution convergente, où comment deux espèces issus de familles très différentes ont évolué en individus similaires.

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Depuis, les mammifères placentaires ont évincé les marsupiaux, colonisé les océans, et abandonné la mode du carton peint en guise de décor. Lion de mer et dauphin se fendent la poire en apesanteur.
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Enfin, au stade ultime de l'Évolution, voici homo tractibus mecanicus, fossoyeur de bien des espèces, y compris la sienne. Telle l'imperturbable Nationale 3, sa voie d'extinction semble toute tracée. Notre périple chubutéen, quant à lui, s'éteint là.
Le périple « Un Festival de Palmes » est maintenant terminé. Pas trop fatigué ?

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