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“Anse avec les loups (et quelques indiens)”

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« On m'avait dit que la Patagonie, ça nous en boucherait un coin, que ça serait énorme, mais à ce point ?! C'est à croire qu'ils ont fait des essais nucléaires aux Malouines, et qu'avec les marées... »
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Bon, allez, ça va : perdons pas de temps ! Nico, Antoine : laissez tomber, votre blague est pourrie, qui veut du maté ? Profitez-en, l'herbe est toute fraîche, l'eau est bien chaude !
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Après un très très long voyage en car, nous atteignons enfin la côte râpée du littoral patagon, et débarquons à Puerto Madryn, une consonance qui fleure bon le Pays de Galles.
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Ni une, ni deux : pour nous dégourdir les guibolles, nous foulons somnambules le pourtour du Golfo Nuevo, annexe de la Mer Argentine : ses plages de sable fin, ses bancs d'algues fétides, ses détritus...
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En fond de baie, ces excavations dans la roche furent creusées en guise de refuge par les tout premiers colons gallois, 153 pauvres hères débardés en terra incognita avec foi et bagages, un beau jour de 1865.
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En surplomb, convulsionnée par le vent du large, et deux siècles d'Histoire houleuse, la bannière ensoleillée rallie les touristes comme elle fédère conquérants, immigrés et colons de tout bord.
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Relégué au second plan, dans l'ombre de l'étendard national, ce Tehuelche de bronze scrutant le large commémore l'accueil bienveillant et l'aide précieuse que cette nation indigène réserva aux “pilgrim fathers” patagons ;
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mais en guise de Thanksgiving, Buenos Aires déclencha en 1879 la génocidaire Campagne du Désert. Aujourd'hui, des tags subversifs et rancuniers rebaptisent le front de mer “Avenue des Peuples Originels”...
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La “boat-nation” du Río de la Plata serait-elle menacée par le revival indigène ? Pacifique, mais non moins virulente, la protestation “révisionne” l'histoire américaine, diabolisant ici l'offensant Jour de la Race !
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Une fois solidement plantées les problématiques culturelles de la Patagonie, nous nous dirigeons vers l'EcoCentro pour une initiation biologique en noir et blanc.
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Une orque en smoking nous souhaite la bienvenue – à défaut de goûter à ce dont Puerto Madryn est la “Capitale Nationale” : la plongée sous-marine, nous nous abîmons dans panneaux, vidéos et reconstitutions.
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Manchots, orques, dauphins, lions et éléphants de mer : toute la ménagerie du littoral y passe, avec une prédilection pour la baleine, caïd incontesté du quartier.
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L'attraction phare du musée est d'ailleurs une ébouriffante reconstitution de l'appareil digestif du cétacé, dans lequel on s'ingurgite via un non moins décoiffant rideau de simili-fanons en nylon ;
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libre au visiteur, ensuite, de s'imprégner avec sa sensibilité propre dans cette expérience biblique – une batterie d'éructations et borborygmes magnifiquement retransmis confondront les plus sceptiques.
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Et à la sortie, on peut s'offrir une bien belle photo-souvenir en compagnie d'un squelette de baleineau. Mais je boude un peu mon plaisir – j'eus préféré de chair autant que d'os.
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« Çaha vaha duhurer lonhongtemps ces souhoubresauhauts ? » ; les amortisseurs de notre Chevrolet Corsa de location fendent les rouleaux de gravillons qui déferlent sur les routes patagonnes – et nos cœurs.
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Nous traquons la baleine, dix kilomètres au nord de Madryn. Le promontoire de Punta Flecha domine le Golfo Nuevo ; les plages adjacentes sont réputées être le terrain de jeu des cétacés...
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Nous descendons donc en contrebas sur la Playa El Doradillo, armons objectifs et jumelles, et guettons, pleins d'optimisme. Paraît qu'elles viennent se gratter le dos sur les galets, à marée haute.
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Au bout de deux heures de vaines hallucinations, bingo : l'océan daigne enfin vomir les restes d'un baleineau, les entrailles pétrifiées par le sel. C'est toujours mieux que rien.
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Renonçant à récupérer ris et rognons pour tenter un asado de baleine, mais rassérénés quant à nos chances de réussir un bel album animalier, nous cabotons au sud de Madryn, jusqu'à Punta Conscriptos.
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Puis, ayant convenu que nous nous étions égarés, nous rebroussons chemin jusqu'à notre but avoué : Punta Loma, où l'on procède à une rude compétition de matériel photographique – viens, Antoine : on va aller boire un coup.
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Faute de guinguette, on ouvre grand les jumelles et on règle ses pupilles pour reluquer la clique-clac de baigneurs qui rôtissent dans la crique-clac, sourds au mitraillage cyclique-clac des obturateurs.
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C'est ce qui s'appelle faire la crêpe. A des degrés divers de séchage, leur pelage plus ou moins foncé, une colonie de lobos marinos, ou lions de mer, attend patiemment l'heure de l'apéritif.
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Certaines peaux sensibles se sont abritées à l'ombre de la falaise ; un mâle tous les vingt mètres, attentif à surveiller les faits et gestes de la douzaine de femelles qui constituent l'ordinaire de son harem.
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La peau mate et la crinière gominée, monsieur soulève sveltement ses 300 kg, dans un effort souverain qui demande encore un petit coup de rein pour replier la nageoire caudale qui lui sert d'arrière-train.
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« ALORS CE FERNET : ÇA VIENT ?! » ; un mugissement féroce, tel un klaxon enroué, ébranle soudain le silence de la jungle, et la femelle s'écroule, terrassée par l'haleine fétide de son macho1.

1 Macho = mâle.

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Pas de quoi effrayer les cormorans, dont les cris sarcastiques se gaussent du cocu de service : la possession des femelles est sujette à moult incartades et divorces, qui dégénèrent régulièrement en engueulades musclées.
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« A taaable ! » ; un barrissement suivi de peu d'effet : boudant les heures de repas fixes, ces carnivores friands de céphalopodes et amateurs de manchots tapent dans le Golfe comme dans un frigo, quand ça leur chante.
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Reprenant la direction de Madryn, nous retentons notre chance sur la Playa Paraná : une baleine voudra-t-elle bien pointer le bout de son mufle sur la grève ? Hélas, celle des cétacés est reconduite.
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Et la mer ne nous offre une fois de plus que le tribu d'un cadavre, celui du Folias, bateau de pêche incendié dans les années 80, et depuis lors attraction de prédilection des plongeurs.
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Qu'à cela ne tienne, nous persistons et signons dans notre entêtement à pourchasser la baleine, et retournons à la Playa El Doradillo, d'où cette fois-ci la marée s'est retirée –
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dans son sillage, elle laisse le relief cabossé d'un champ de dunes, vision prémonitoire du passage dévastateur d'un rally1 d'outre-atlantique dévoyé sous ces latitudes vierges et fragiles.

1 Le Dakar 2009, en effet, a fait étape à Puerto Madryn.

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Ayant quitté l'anse de Puerto Madryn et longé le Golfo Nuevo vers le nord, nous atteignons l'Isthme Ameghino1, qui donne accès à la Péninsule Valdés et bée au nord sur le Golfo San José.

1 En hommage aux frères Ameghino, Carlos {1865-1936} et Florentino {1854-1911}, naturalistes, paléontologues, anthropologues, géologues argentins, pionniers de l'exploration scientifique de la Patagonie.

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Séparé de l'isthme par la marée haute, le profil fortboyardesque de l'Île des Oiseaux est le repère privilégié pour la nidification d'une multitude de mouettes, cormorans, hérons, huîtriers et manchots.
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A proximité, la chapelle reconstituée du Fort San José rappelle l'histoire tragique de ce proto-établissement espagnol du littoral patagon, fondé en 1779, auquel un brutal malón1 mit fin en 1810.

1 Malón = raid indigène contre un établissement colonial.

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« Alors Coco, ça mord ? » ; faute d'un zoom suffisant, la volaille s'en tire à bon compte pour cette fois-ci – mais rira bien qui rira le dernier : à la Péninsule Valdés, notre prochaine étape, nous ne ferons pas de quartier !
Le périple « Un Festival de Palmes » n'est pas terminé ; poursuivez l'aventure !

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