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“Transports en tout genre”

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Une fois n'est pas coutume, nous avons décidé de faire pénitence. A force de blasphémer à longueur de route, au gré de nos diverses mésaventures, il nous a semblé opportun de faire amende honorable. Alors sus à Luján, haut-lieu du catholicisme argentin. Que Gauchito Gil nous pardonne !...
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De part et d'autre du vaste parvis, les Marchandes du Temple ont délaissé leur étal le temps d'un maté – il faut apprendre à cebar ce qui est à cebar ! J'ai beau faire la comédie pour qu'on me dégotte une bombilla en forme de crucifix, rien n'y fait : la pause, c'est sacré.
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Qu'importe, nous progressons en direction de la basilique, non sans appréhension ; à découvert, nous sommes à la merci du moindre châtiment divin. De ses pupilles horlogères, la grande cornue semble bigler dans notre direction... Nous nous camouflons vite derrière un écran de bouquets en plastique.
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De notre planque, nous dévisageons le monstrueux quadrupède de pierre. Au-dessus de son triple giron, son orifice buccal est muselé par une chétive rosace. Tel Bellérophon, Belgrano défie la chimère néogothique avec la pointe aiguisée de son étendard.
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Hormis dans notre imagination, il n'y a pas une once de fébrilité dans l'air, et l'on vaque sereinement à de bien profanes occupations. Notre-Dame de Luján, elle, est impassible – son Joseph de mari, éternel dindon de la farce, en prend pour son grade1 !

1 Le graffiti est assez cocasse en effet : « José pito corto » ne signifie pas autre chose que – pardonnez-les – « Joseph petite bite ».

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Au pied de la façade, les pèlerins ont le tournis ; avec ses 106 mètres de haut, elle est d'un gabarit hors-norme en Argentine, seulement surpassée de 6 mètres par sa contemporaine la Cathédrale de La Plata. Un score qui la classe troisième de toutes les Amériques !
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Pour pénétrer dans l'enceinte, il faut se frayer un passage parmi des myriades de grigris et bibelots clinquants, où la Vierge Marie s'acoquine avec divers prétendants : Gauchito Gil, San Cayetano, San Expedito, Saint Georges... Décidément, Joseph n'en peut mais.
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Avant d'entrer dans la nef, prière de se laver les mains ! Au temps pour moi, il s'agit de la fontaine d'eau miraculeuse ; remarquez : les visiteurs en font un usage si abondant que l'on penserait volontiers que les miracles courent les rus. Une fois le plein effectué, le cureton de corvée bénit les bidons.
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Au dos de la fontaine, un bas-relief évoque l'origine du sanctuaire. On aperçoit la charrette, qui transportait la statuette de la Vierge et qu'aucun bœuf ne put tirer au-delà de Luján. Au premier plan prie le “Noir Manuel”, qui hébergea la miraculeuse effigie dans sa case 40 ans durant. [Lire la légende complète]
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Depuis cette lointaine année 1630, celle que l'on nomme désormais la Vierge de Luján a gravi les échelons de l'ascension sociale : case en adobe, puis chapelle en moellons, enfin l'insolente réussite des années 1880 : une véritable basilique en pierre de taille ! Malgré ça, toujours la même toilette.
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Autre attraction majeure de cette petite ville secondaire, à deux pas de la Basilique, l'antique Cabildo colonial, qui a vu passer son lot de leaders indépendantistes en captivité et Vice-Roi en cavale...
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Quant à son lot de touristes, il est plutôt maigre, mais cela n'enlève rien à l'intérêt du Musée Colonial et Historique qui s'est établi dans ses murs et relate l'histoire argentine en une série de salles un tantinet poussiéreuses mais bel et bien instructives.
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N'étant pas autorisés à photographier les pièces du musée {si tant est que nous en ayons eu l'intention}, nous nous contenterons d'un cliché de la chapelle, encadrée par deux charmantes statues en grès provenant des Misiones.
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Comment ? Vous partez déjà ? Allons, prenez plutôt sur votre gauche ; à quelques mètres du Cabildo se trouve la deuxième partie du “Complexe Muséographique Enrique Udaondo” : jetez un œil au Musée des Transports, vous ne serez pas déçus !
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La première salle est consacrée au XIXème siècle. On y admire une authentique carreta quinchada1, de celles qui traversaient sans faillir les pistes infinies de la pampa, à la merci des attaques indigènes. Ce modèle-ci fut utilisé par San Martín, peu avant d'entreprendre sa traversée des Andes {1817}.

1 Carreta quinchada : charrette couverte

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Un rien plus cossue que la précédente voiture hippomobile, au point que son acquisition en 1870 ne fut pas sans soulever de virulentes critiques, voici la calèche officielle des Présidents de la Nation, une petite folie sortie des ateliers Delaye et Cie., France. Elle rendit de loyaux services jusqu'en 1894.
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Au rayon des importations, une autre manifestation de l'européanisme de l'époque : cette locomotive made in England, mais fièrement baptisée La Porteña, inaugura la toute première ligne de chemin de fer d'Argentine, en 1857 : 10 km en périphérie de Buenos Aires.
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Des décennies plus tard, quelques énergumènes s'employaient à défier la modernité triomphante, et à vanter les mérites locaux : en 1925, c'est l'immigré suisse Tschiffely qui se rend jusqu'à New York en compagnie de Gato et Mancha, parangons de la race criolla.
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Puis, en 1935, un autre immigré, Basque celui-ci, sillonne le pays en poussant sa brouette : Guillermo Larregui accomplit ainsi plus de vingt milles kilomètres, de la Patagonie aux Chutes d'Iguazú, de Buenos Aires à La Quiaca, franchissant même les Andes pour atteindre Santiago de Chile !
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Allez, on rajoute encore une roue, et nous voici maintenant sur les traces de Ricardo Núñez qui, de 1963 à 1967, réalisa un tour du monde de 82.430 km à bicyclette en solitaire – ou presque : il était hors de question de partir sans deux bouteilles thermos, le maté en bandoulière.
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Une fois n'est pas coutume, l'ego national tolère une petite incartade : c'est une cocarde espagnole qui orne la carlingue du “Plus Ultra”, hydravion qui réalisa le premier vol {avec escales} entre l'Espagne et l’Amérique, en janvier 1926, sous les ordres de Ramón Franco, frère du Caudillo.
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Chassez l'orgueil argentin par les airs, il revient par la banquise : c'est à bord de cet engin qu'une mission militaire parvint au Pôle Sud, le 10 décembre 1965, et y planta le drapeau national afin d'asseoir la souveraineté argentine sur la portion d'Antarctique qu'elle revendique comme partie intégrante de sa “bi-continentalité” {dixit les manuels scolaires}.
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En attendant d'aller un jour, nous l’espérons, fouler la Antártida Argentina, nous quittons Luján et rentrons sur Buenos Aires. Au péage, un doute terrible nous assaille : avons-nous vraiment fait amende honorable auprès de la Virgencita ? Bah, puisqu'elle semble aimer la Quilmes, nous trinquerons tantôt à sa santé !

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