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“Charybde et Scylla”

Ce carnet de voyage fait partie d'un périple plus vaste. Reprenez-le depuis le début ! C'est ici : « La Quête du Maté ».
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Vert, jaune, bleu : les couleurs brésiliennes bornent la berge escarpée, à la confluence de l'Iguaçu et du Paraná, au lieu-dit “Marco das Três Fronteiras1”. Vous l'aurez compris : nous sommes chez Lula !

1 Marco das Três Fronteiras = Borne des Trois Frontières

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A 23 km des Cataratas, les deux fleuves délimitent ainsi les territoires des trois pays riverains : Brésil, Argentine {en face} et Paraguay {à droite}. La fureur immobilière s'empare peu à peu de ce carrefour panoramique1.

1 Côté brésilien, la tour « la plus haute d'Amérique Latine » est en construction {pour l'heure, en 2008, il n'y a que les fondations}, qui offrira une vue imbattable sur les Chutes, si distantes soient-elles ! Par ailleurs, le secteur est l'objet d'une ingérence yankee pour le moins déroutante : une très forte minorité musulmane de 90.000 âmes peuple en effet les trois rives de ce carrefour stratégique difficilement contrôlable par les autorités frontalières ; outre un trafic de stupéfiants notoire, les pontes du Pentagones soupçonnent un réseau islamiste florissant et entendent poursuivre dans la région leur lutte contre le terrorisme. Washington a obtenu la construction d'une base militaire côté paraguayen.

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En 1903, pour symboliser leur fragile rabibochage au lendemain de la meurtrière Guerre de la Triple Alliance, chacun des trois États édifia un obélisque, à égale distance des deux autres.
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Le Paraguay, tragique perdant de ladite guerre, n'a pas les mêmes prétentions architecturales que ses voisins. Qui plus est, son embarcadère pour les lointaines Cataractes souffre d'une concurrence fatale.
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Avant de retourner voir les chutes, comme nous nous le sommes promis, nous comptons nous changer les idées en visitant le Barrage d'Itaipu – certes, cela reste une histoire d'eau.
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N'en déplaise aux Argentins : Yacyreta, à côté, c'est de la gnognote1 ! Tout à Itaipu tourne la tête, et les brochures explicatives ne lésinent pas sur les comparaisons pharaoniques.

1 Itaipu est en effet la plus grande centrale hydroélectrique au Monde en termes de production d'électricité. Record que devrait prochainement lui ravir le barrage chinois des Trois Gorges.

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Savez vous que la hauteur totale de ce rempart titanesque, en partie immergé, égale un immeuble de 65 étages ? et que le béton employé pour son édification suffirait à construire une deux-voies entre Lisbonne et Moscou ?
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D'autres calculs herculéens s'évertuent à décomposer l'ouvrage en 15 Eurotunnel de béton et 380 Tours Eiffel de fer et d'acier {la France est visiblement une référence...}.
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A l'autre extrémité du barrage {je veux dire : du corps central du barrage, car l'ensemble de la digue s'étend sur plus de 7,7 km}, le déversoir est un nouveau sujet d'extase, plus extériorisé ;
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nous avons la chance d'assister à une petite vidange, ce qui ne se produit qu'une dizaine de jours par an ; le tsunami qui en résulte déferle 40 fois plus vite que la moyenne observée à Iguazú !
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Pour amortir l'érosion désastreuse que provoquerait un tel jet, s'il percutait de plein fouet le lit du fleuve, le rebord concave de la rampe lui impulse un gracieux salto, et il gaspille ainsi son énergie en cabrioles.
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Rive gauche, le “Bois du Travailleur” s'enrichit d'un arbre dès qu'un employé fête ses 15 ans de boîte. Itaipu ayant été inauguré en 1982, le bosquet est encore passablement clairsemé1.

1 Quelques employés, cependant, sont des vieux de la vieille, et travaillaient déjà sur le chantier, parfois dès 1973. Quelques statistiques pour les intéressés : au plus fort des travaux, l'entreprise recrutait jusqu'à 5.000 ouvriers par mois {notamment entre 1978 et 1981}, et on a pu dénombrer jusqu'à 40.000 hommes simultanément à l'œuvre sur le chantier ; au total, ce sont 100.000 personnes que la construction d'Itaipu a mobilisées.

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Une petite virée en bus nous amène sur l'échine de la muraille, jalonnée de graciles colonnes d'albâtre : nul propylée en ruine, ces vérins dosent l'ouverture des portes sous-jacentes qui font accéder l'eau aux turbines.
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En amont s'étendent les 135.000 hectares de la retenue. Certes, la création de cette mer artificielle a submergé nombre de villages indigènes, niches écologiques et sites archéologiques ;
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mais à l'époque du 1er Choc Pétrolier, le projet faisait miroiter une économie substantielle de 434.000 barils quotidiens ! Pas de quoi cependant combler le gouffre financier que fut la construction d'Itaipu –
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de part et d'autre du Paraná, Brésil et Paraguay, associés dans le complexe montage diplomatique et financier de cette entreprise binationale, ne parviennent pas à se dépêtrer de leur dette.
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Au chapitre des pertes sèches, on déplore par ailleurs l'engloutissement des chutes de Sete Quedas : avec leur débit le plus puissant du monde, elles étaient une proie idéale pour ces roides cataractes de béton-armé.
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Un béton-armé déversé à une cadence homérique telle qu'au plus fort des travaux, qui s'étalèrent de 1973 à 1982, il s'édifiait l'équivalent d'un immeuble de 20 étages toutes les 55 minutes. Vertigineux !
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Nous reprenons le minibus, dont le trajet passe en surplomb du déversoir et de son toboggan de 483 mètres de long ; nous songeons à breveter une nouvelle discipline olympique : le saut à jet-ski.
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Puis, faisant volte-face, notre minibus dévale une pente douce à flanc de digue et nous conduit sur la plate-forme principale. En réponse aux vingt vérins déjà vus, voici les vingt vaisseaux ventripotents.
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Sous ces camisoles de force se convulsionne le Paraná, muselé et emmuré, et son mugissement étouffé fait un écho scandalisé à l'étymologie guaranie d'Itaipu : “la pierre qui chante”.
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Une petite coupe permet d'apprécier les proportions du mastodonte, de comprendre le parcours de l'eau, et de suivre {grâce à de succinctes annotations} les péripéties de notre visite guidée.
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Pour débuter, un peu de spéléologie : casqués comme à la parade, nous nous immisçons entre deux boyaux colporteurs, dans cette faille qu'on croirait taillée pour mouler des obélisques.
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Elle chapeaute un puits d'une quarantaine de mètres de profondeur, qu'un éclairage curieusement bleuté nimbe de reflets d'aquarium. Nous ne plongerons pas davantage en eaux troubles –
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faisant demi-tour, retraversant la route, pénétrant dans l'immeuble principal {des fois, je trouve qu'on manque un peu de photos pour les transitions}, nous déambulons à présent dans les entrailles de la centrale.
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Une baie s'ouvre bientôt, d'où nous pouvons espionner les ingénieurs paraguayens et brésiliens qui supervisent le bon déroulement de la production d'énergie, synthétisée sur le grand écran polychrome.
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Nous passons à présent dans la chaleureuse salle des fêtes, je veux dire le hall des turbines, lesquelles valsent sans faillir sous le plancher lustré, 20 danseuses au coude à coude sur 1 km de long.
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Pour aller voir de plus prêt les coquettes, emmurées par une centaine de mètres de profondeur, l'ascenseur s'impose ; les numéros d'étage sont remplacés par les cotes d'élévation au-dessus du niveau de la mer.
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La taille svelte, cette ballerine d'acier virevolte à 3.000 tours à la minute, dissimulant sous son tutu orange le corpulent giron de ses palles éléphantesques – la gamine affiche tout de même plus de 3.000 tonnes sur la balance !
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Solidement vissé, le bustier soutient stator et rotor, dont le va-et-vient étourdissant engendre un magnétisme survolté : l'électricité générée suffit à approvisionner une ville d'1,5 millions d'habitants !
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Retour à la surface. Un méli-mélo de lignes à haute-tension distribue le bénéficie entre les deux nations ; comme à Yacyreta, l'impécunieux Paraguay en revend la majeure partie à son créancier le Brésil1.

1 De même qu'à Yacyreta, les coûts de construction ont été théoriquement partagés à égalité entre les deux Etats, mais en pratique le Paraguay ne pouvait avancer le moindre dollar : c'est donc le Brésil qui a tout financé ; en contrepartie, le Paraguay rembourse sa dette en offrant au Brésil une partie de la production d'électricité qui lui revient normalement. Le Paraguay ne consomme d'ailleurs que 5% de l'électricité générée par Itaipu, ce qui est suffisant pour couvrir 90% de ses besoins énergétiques !

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La visite s'achève. Lassés des grillades argentines, nous nous ruons avec bonheur sur le buffet de poissons que propose une petite cantine familiale, à l'entrée de Foz do Iguaçu. Puis nous reprenons le chemin d'Iguaçu.
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Côté brésilien, pas de promenade en petit-train, on table sur les grands moyens. A raison d'un décollage toutes les 10 minutes, un ballet incessant d'hélicoptères assure le survol des chutes.
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Laissant de côté tout scrupule d'ordre budgétaire {et écologique : il paraît que ce vrombissement permanent au-dessus de la forêt perturbe insidieusement la faune autochtone}, nous embarquons helico presto.
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« QUOI ? – JE DISAIS : T'AS VU, ON VOIT LE COCKPIT ! – NON, JE TROUVE PAS QUE LE PILOTE RESSEMBLE A BRAD PITT ?! – MAIS NON, C'EST A IGUAZU, QU'ON VA, PAS AU YOSEMITE ! ».
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Très vite, nous renonçons à poursuivre ce dialogue de sourds dans le vacarme vrombissant qui nous gondole les tympans. Nous survolons le Rio Iguaçu et l'impénétrable réserve naturelle.
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Et puis, virage à droite, spectacle tout bonnement merveilleux et fantastique : la gueule fumigène de la Garganta del Diablo, béante et enragée, déchire le miroir fuligineux du fleuve.
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« Oui, mon cher Coco, je survole actuellement les chutes d'Iguaçu à bord de mon hélico, c'est vraiment prodigieux, on aperçoit la passerelle d'accès et le belvédère de la Garganta del Diablo –
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c'est un spectacle fascinant, mon cher Coco, fascinant ! sous mes yeux, là, au milieu, l'île San Martín, et au-dessus le salto du même nom, et puis à droite le salto Bossetti, je vais tenter une approche –
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flûte, que se passe-t-il ? vous me recevez Coco ? allô ? me recevez-vous ? un bruit suspect dans la carlingue... les aiguilles s'affolent... je perds de l'altitude... allô Alpha Tango Coco ? je perds le contrôôôôôle ! »
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Atterrissage réussi, tout en douceur. Pourquoi faut-il toujours que je me monte des films catastrophe quand on prend un avion ou un truc dans le genre ?... J'en ai les jambes qui flageolent ! Quelle vaillance.
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Nous empruntons maintenant le circuit piéton, qui longe le Rio Iguaçu côté brésilien. Il commence à pleuvoir. Nous suivons un groupe de licenciés du Ku-Klux-Klan venus étudier les possibilités de lynchage par noyade.
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Le principal intérêt de la rive brésilienne est d'offrir un panorama complet sur les cataractes, notamment sur cette portion-ci qui n'est ni accessible ni visible côté argentin. Vous me direz : un salto de plus ou de moins...
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Autre atout : profitant d'un replat, une fluette passerelle s'avance précautionneusement au-dessus du flot débridé et s'immisce entre les mâchoires entrouvertes de la Garganta del Diablo.
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Talonnés par la troupe des sympathiques capuchons, nous badaudons sur le front de mer, balayé sans ménagement par un vigoureux crachin qu'entretiennent des bourrasques sibériennes.
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Au terme de la jetée s'ouvre un point de vue stomatologique très appréciable sur le houleux maelström dont se gargarise le démoniaque gosier ; t'as plus d'un bout de salade coincé entre les dents, Méphisto !
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Provocation inutile : le Malin riposte par une éructation assourdissante {et interminable} assortie d'une rafale de postillons qui nous débarbouille soigneusement de la tête aux pieds.
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Nous battons en retraite précipitamment, semant la panique parmi les Schtroumpfs albinos qui se replient en désordre {on aura reconnu la silhouette nonchalante de Schtroumpf Grognon, à gauche}.
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Plutôt que de nous résoudre à acquérir nous aussi la cape blanche imperméable vendue par le Parc, et à passer pour les disciples d'une secte sélénique, nous cherchons asile à la tour panoramique.
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Hors de portée de la bruine et des gourous, nous profitons du panorama ; « T'en es content, toi ? – Ouais, elles sont confortables, non ? – Moi, je suis un peu à l'étroit, tu crois pas qu'on a inversé les deux paires ?
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– Non non, les miennes elles ont les petites rayures blanches, j'ai pas choisi les roses, moi, ça risque pas ! – Hé, t'insinues quoi, là ? – Rien, rien, simplement moi j'ai pas des baskets roses, c'est tout...
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– Eh, oh, minute papillon, j'te rappelle qu'il restait plus que ces deux couleurs en magasin, et que t'as choisi le premier, hein, sûr que j'aurais pas choisi rose, sinon ! – T'avais qu'à chausser du comme moi, Augustin ! ».
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Du calme, restons zen, surtout ne pas renchérir, ça sert à rien, je vais plutôt compter les gouttes d'eau et calculer le débit horaire des chutes, ça me calmera les nerfs, une, deux, trois, quatre,...
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Des fois, faudrait pas jouer avec ma patience... Un accident est si vite arrivé... Surtout ici... A quelques pas de la cataracte... Ça laisserait pas beaucoup de traces... Une pichenette... Et pchouf...
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La brouille est de courte durée, nous nous pelotonnons frileusement l'un contre l'autre dans le car ouvert aux quatre vents qui nous ramène au parking. C'en est fini d'Iguaçu et d'Iguazú, on en a une soûlée !
Le périple « La Quête du Maté » n'est pas terminé ; poursuivez l'aventure !

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