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“Attention, peinture fraîche”
1 Nous déboulons en Argentine par le Paso de Jama, comme qui dirait sur les chapeaux de roue ! |
2 S'y déroule un incessant ballet de camions, qui transportent via l'Argentine des centaines de voitures d'occasion japonaises à destination du Paraguay. |
3 Sur les coups de midi, nous faisons halte à Susques, bourg d'adobe et de chaume, balayé d'un sempiternel courant d'air qui charrie poussière et détritus. |
4 La pause ne vaut pas tant pour l'infâme steak de lama que nous y avons mastiqué sans plaisir, que pour sa belle église ; |
5 dans le ton de l'architecture vernaculaire, elle scintille d'un reflet éblouissant sous le cuisant soleil de la Puna. |
6 « Non, Nico, hors de question : je ne monterai pas sur cet escalier élimé pour prendre la pose, c'est niet ! » |
7 Repus et requinqués, nous poursuivons plus avant dans la province de Jujuy, dont ces gigantesques cardones sont les sentinelles hostiles. |
8 Puis ce sont les non moins inhospitalières Salinas Grandes, vaste salar d'une blancheur proprement aveuglante ; |
9 par petits groupes, ces silhouettes enturbannées, calfeutrées pour se protéger de l'implacable réverbération, exploitent le sel à la force des bras ; |
10 les piscines d'extraction attirent peu de baigneurs, et laissent affleurer la nappe d'eau saumâtre qui stagne sous la croûte de sel. |
11 Quelle meilleure métaphore du drapeau argentin que cette conjonction d'un ciel livide et d'une terre javellisée, qu'écrase un soleil au faciès fripon ? |
12 Nous tentons de contourner les salines par l'ouest, mais en été les rivières qui alimentent ce bassin endoréique sont en crue et coupent la piste de Casabindo. |
13 Aussi nous récidivons par le côté est, via un ancien tronçon de la Ruta 40 qui longe la Sierra de Aguilar et rejoint Abra Pampa, à l'extrémité nord de la Quebrada de Humahuaca. |
14 A l'entrée de la vallée, un groupe de Dormilones1 se blottissent côte-à-côte sous leur couverture en camaïeu de verts, leurs visages mats baignés de lumière. 1 Dormilón{es} : dormeur{s} |
15 Plus loin, la roche poursuit ses tours de prestidigitation, et nous fait miroiter l'écorce du boulot, la peau du zèbre, voire un code-barre géant. |
16 Trêve d'élucubrations, la jauge est à nouveau dans l'orange ; nous profitons d'un hangar abandonné pour refaire le plein, à l'abri d'un soleil écrasant. |
17 En fin d'après-midi, nous déboulons à Humahuaca, principal centre urbain de toute la vallée – un gros village en somme. |
18 Sur la place centrale trône un cabildo au style indéfinissable, vaguement néo-colonial ou pseudo-hispanique, en tout cas plutôt disgracieux. |
19 Nous ne faisons pas un cas beaucoup plus grand de l'église, classique, austère et tout bonnement fermée. |
20 A l'angle de la place, où convergent les vendeurs ambulants, s'ouvre une perspective magistrale dont les degrés mènent au Monument aux Héros de l'Indépendance ; |
21 bien plus que le triomphe des créoles sur la métropole espagnole, c'est l'identité indigène, longtemps brimée par ces mêmes créoles, que magnifie la figure altière du cacique Pedro Socompa. |
22 Car ici, et plus généralement dans toute la Province de Jujuy, la culture indigène demeure très vivace, et ses affinités vont davantage à la proche Bolivie qu'à la lointaine Buenos Aires. |
23 Si panneaux et enseignes se conforment aux usages castillans {affluence touristique internationale oblige},... |
24 ...l'autochtone, lui, préfère l'usage du Quechua : d'impénétrables conciliabules vont bon train, ainsi protégés de la curiosité des gringos. |
25 Les étals du marché, quant à eux, regorgent de couleurs et d'odeurs qui n'ont pas cours à Córdoba ou Buenos Aires – jugez-en par les multiples variétés de patates ! |
26 Loin de s'assoupir dans une inertie de ville-musée, Humahuaca conserve une activité commerçante dynamique, bien qu'un peu désuète ; l'ameublement est florissant,... |
27 ...et le nombre de coiffeurs est impressionnant – Nico a hélas refusé de sacrifier ses cheveux, perdant l'occasion de photographier les intérieurs très libertins de ces salons. |
28 Pour la nuit, nous élisons domicile dans cette charmante hôtellerie au nom accrocheur et au lama accueillant. |
29 Le lendemain, nous montons à Coctaca pour y visiter les ruines d'une cité pré-hispanique, que nous ne parvenons pas à distinguer des innombrables cailloux,... |
30 ...malgré toute la bonne volonté déployée par notre guide improvisée, une fillette loquace un rien espiègle. |
31 Le site archéologique, à tout le moins, vaut pour ses incroyables cardones, d'un gabarit confondant,... |
32 ...et d'une variété de formes abracadabrantes, tel ce candélabre que l'on jurerait briller de mille feux. |
33 Passage obligé par la case artisanat, une boutique-souvenirs improvisée : nous ne saurions repartir sans emporter écharpe psychédélique ou poncho fashionable ! |
34 A notre vif regret, le pan casero1, très prometteur, n'est pas prêt de sortir du four : nous resterons sur notre faim. 1 Pan casero = pain fait maison ; les Argentins {comme bien d’autres peuples} raffolent de tout ce qui est “casero”, gage d’authenticité et de saveur. |
35 Criant famine, nous repartons en flèche vers le Valle de Humahuaca, et {après nous être rassasiés} nous poursuivons notre itinéraire cap au sud. |
36 Chemin faisant, nous immortalisons le passage du Tropique du Capricorne – les petits malins nous feront remarquer que nous l'avions sûrement déjà franchi côté chilien... |
37 A hauteur de Tilcara, nous poussons jusqu'à la Garganta del Diablo {la “Gorge du Diable”}, attraction touristique majeure aux dires de notre hôtelière de la veille ; |
38 quelques aménagements un rien vertigineux permettent de déambuler sur l'étroit barrage, et sur son chemin de ronde en porte-à-faux le long des parois rocheuses ; |
39 le photographe s'amuse un temps des ombres fragmentées et des miroitements qu'y allume la fine pluie suintant du barrage. |
40 En amont, une gorge plus amène conduit à une chute d'eau fort peu spectaculaire, mais suffisamment attrayante pour qu'y affluent les touristes en mal de fraîcheur. |
41 Plus en aval, à la confluence avec le Río Grande qui irrigue chichement la Quebrada au cœur de l'été, nous gagnons le pucará de Tilcara. |
42 Il s'agit d'une forteresse {“pukara” en Quechua, hispanisé en “pucará”}, élevée par une nation précolombienne, oppidum surveillant la très passante vallée de Humahuaca. |
43 Cette citadelle fut découverte en 1903, désensablée, et partiellement relevée de ses ruines en 1953 par des émules de Lord Evans ; |
44 ce travail de restauration {certes critiquable} permet aujourd'hui de visiter ces habitations en pierre, dont le toit d'adobe repose sur des travées de cardones. |
45 Plus au sud, alors que la Quebrada se rétrécit peu à peu, le relief est émaillé de chevrons ivoirés qui dessinent une montagne enneigée à même la montagne ; |
46 à Maimará, le spectacle de ces dents de scie stratifiées confère au cimetière d'une lilliputienne monumentalité les dimensions d'une nécropole pharaonique ! |
47 Au terme de cette journée bien remplie, nous arrivons à Purmamarca, qui verrouille la Quebrada en beauté ; |
48 la “Montagne aux Sept Couleurs” qui surplombe le village n'a pas volé son nom : si certaines nuances sont subtiles, les rouges, verts et jaunes sont des dominantes indéniablement contrastées ; |
49 les beaux camaïeux de la composition centrale n'excluent pas un traitement plus brouillon des marges du tableau, entachées d'éclaboussures criardes ; |
50 sur la palette, la gouache est jetée à la hâte, agrégée en petits pâtés que le pinceau vient fouiller, labourer et sculpter de flammèches crémeuses. |
51 La place centrale de ce bourg touristique accueille une tripotée de camelots, qui harponnent le chaland et le retiennent dans les mailles de leurs ponchos. |
52 Santa Rosa de Lima est une église tranquille, mais en cette veille du 28 décembre l'adoration des santons va y prendre des proportions insoupçonnées... |
53 Il ne manque que la musique pour restituer toute l'euphorie de cette farandole enfantine, qui clôt cet album en fanfare ! |