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“La trouée vers l'or”

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Début de week-end sur les chapeaux de roue : dès le vendredi soir, nous avalons 400 bornes de bitume pour atteindre le cœur de la Province de San Luis, en compagnie de Sush et Pô.
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Vignette n°74 : en entrant dans la Province de San Luis :
  • A- je retarde ma montre ;
  • B- je m'assure que mon réservoir est plein ;
  • C- je jette mon fromage cordobais ;
  • D- je donne l'aumône aux policiers.
Toutes les réponses sont valables, comme de bien entendu :
  • A- la Province de San Luis ayant refusé d'appliquer l'heure d'été, jugée inutile, elle vit alors en décalage horaire avec le reste du pays ; une situation révolue avec l'abandon de l'heure d'été depuis quelques années...
  • B- mieux vaut passer à la pompe, fusse pour 1 litre, car les stations sont rares dans la province : la prochaine est à 186km ! ;
  • C- les contrôles phytosanitaires sont impitoyables entre provinces : fromages fermentés, charcuterie, fruits et légumes sont retenus à la douane {et font le bonheur des douaniers, croyez-moi} ;
  • D- jouant la fibre sentimentale {« Ecoutez, chicos, vous savez : c'est pas toujours facile de boucler les fins de mois, etc. »}, prétextant un utopique et onéreux “Plan de prévention contre les troupeaux errants sur la route”, ou distribuant des prospectus touristiques, tous les moyens sont bons pour que les agents frontaliers rackettent les automobilistes. Véridique ! Et non moins authentique fut le cas des policiers frontaliers de La Rioja, qui nous quémandèrent une fois quelques pesos pour collaborer au rachat d’une bouilloire, la leur ayant cassé – ils ne pouvaient hélas plus se faire de maté !! Ce genre de sollicitations est surtout fréquent à La Rioja – vous n’êtes pas obligés d’y adhérer, vous pouvez refuser poliment.
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Nous nous réveillons le samedi à Carolina, hameau niché au cœur de la Sierra de San Luis, qui pétille de vitalité et vibre d'une frénésie ébouriffante.
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Nous sommes venus y jouer les chercheurs d'or, sur la piste des mineurs qui jadis extrayaient le précieux métal de la montagne voisine.
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L'agence qui organise les visites guidées tient guichet dans ce bazar minéralogique, entre musée et libre-service ;
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au milieu de ce décor insolite, nous adoptons la panoplie de rigueur, chaussant docilement sacs plastiques puis bottes.
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Une fois équipés, nous partons dare-dare en direction de la mine, numérique au poing, impatients d'explorer la caverne d'Ali-Baba.
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L'entrée, toutefois, n'a rien de la luxuriance escomptée, et nous sommes loin des exploitations modernes, mécanisées, industrialisées.
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La galerie principale a été creusée à la force de la pioche, il y a plus de deux siècles, et son gabarit est plutôt étroit ;
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l'éclairage, d'ailleurs, se limite aux veilleuses de nos casques et à la lampe torche de notre taupe de guide.
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La lumière du jour n'est bientôt plus qu'un lointain souvenir : après 200 mètres de ligne droite, l'entrée de la mine se dissout dans les ténèbres.
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L'humidité est élevée, et une eau ferrugineuse sourd mystérieusement en divers orifices, inondant la chaussée visqueuse.
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Suintant par le plafond, des gouttelettes calcaires forment de chétives ramifications stalactitiques.
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Les parois sont maculées de taches phosphorescentes, lardées de coulées luisantes, irisées de teintes minérales ;
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la principale cause de ce barbouillage vernissé tient à l'omniprésence du fer, qui réagit violemment au contact de l'oxygène,...
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...lequel oxygène circule à force de puits de ventilation comme celui-ci, sans quoi l'atmosphère serait proprement irrespirable.
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Et l'or, dans tout ça ? Non : tout ce qui brille n'en est pas, c'est bien connu, et l'oxydation chatoyante des parois leurreraient les plus crédules {et cupides}.
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Le gisement aurifère, au contraire, apparaît sous la forme d'un filon d'un mètre de large, pas plus, aux nuances azurées, très mates.
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La densité de métal précieux y est d'1mg/m³ ; autant dire que son exploitation était longue, ardue et – donc – très coûteuse ;
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c'est pourquoi la mine a été abandonnée au début du XXème siècle, et les repreneurs ne se bousculent pas, bien que la quantité d'or reste importante.
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En l'état, la mine est inexploitable, d'autant plus que certaines galeries se sont effondrées : derrière ce tas de gravas demeurent les ossements d'un groupe de mineurs jamais secourus.
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Allez : viens, Nico ; reste pas planté là comme une stalagmite, on se tire de ce mastaba hanté, je commence à manquer d'air, moi...
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De retour à l'air libre, nous entamons une petite promenade de santé, et entreprenons gaillardement l'ascension du Cerro Tomolasta.
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En marge du sentier, ce curieux affaissement du sol répond à l'effondrement de la galerie que nous avons vu récemment dans la mine.
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A mesure que la piste s'entortille autour du mont, le panorama s'élargit et révèle un paysage lacéré par de tranchantes saillies rocheuses.
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La Sierra de San Luis rappellerait volontiers sa consœur de Córdoba, n'étaient ces proéminences abruptes qui pointent coniquement.
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Au faîte du Tomolasta, à quelques 2020 mètres d'altitude, on découvre le chaînon volcanique qui délimite grossièrement la ligne de crête de la sierra, à la manière de plots de signalisation.
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En contrebas du versant occidental de la chaîne, un plateau à peine vallonné s'étire mollement, agrémenté de quelques fortins montagneux isolés.
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Sur ce, nous plions bagage, et quittons Carolina par la “Pampa de las Invernadas”, déboulant sans crier gare parmi de paisibles chevaux.
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Mais de non moins placides gauchos veillent au grain, et leur présence rassérène le troupeau. Nous esquissons un petit signe. Pas de réponse.
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Le versant nord de la Sierra est zébré d'une “Cuesta de los Algarrobos” particulièrement épouvantable, dont les ornières et les éboulis mettent à rude épreuve nos amortisseurs.
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La fin de soirée fut tout aussi éprouvante : faute d'hôtel et de station-service dans un bon quart nord-ouest de la province, nous avons erré une partie de la nuit,...
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...effectuant un détour de 150 bornes pour pouvoir ravitailler notre jauge à sec – puis nos estomacs à cran, dans une petite guinguette miteuse en bord de nationale,...
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...où nous avons pu savourer {outre les odeurs de gasoil et les effluves de graillon émanant de la parilla} de lipidiques “choripanes1” {façon saint-bernard plutôt que teckel}.

1 Choripán = contraction de chorizo {saucisse} et pán {pain}, il s'agit d'un hot-dog.

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Bon an, mal an, le lendemain nous trouve enfin aux Quijadas, parc naturel le plus mal desservi de toute l'Argentine, dixit notre guide – nous confirmons !
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Ces paysages vous sont familiers ? C'est que nous y sommes déjà venus en octobre 2007, Nico et moi ; et si nous récidivons aujourd'hui,...
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...c'est juste pour épater les gonzesses : « Alors, les filles ? Heureuses ? Allez-y, prenez votre temps, nous on connaît, vous savez, on s'habitue, on fait même plus attention... ».
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Non loin de là, un groupe de Portègnes s'active fiévreusement autour de la sun-spangled bannière ; ces messieurs ne ménagent par leur peine pour contenter ces dames !
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La dernière fois, faute de garde-parc disposé à nous encadrer, nous avions dû nous cantonner au rebord supérieur de la vaste dépression, sans pouvoir descendre dans le cirque ;
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mais aujourd'hui, nous avons pu mettre la main sur un guide accrédité, et ce n'est pas sans une certaine excitation que nous le suivons dans la fosse aux dinosaures !
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Nous sommes accompagnés de deux couples de traîne-savates, dont force est de supposer qu'il doit s'agir de Portègnes ; en bons Cordobais, nous optons pour une stricte ségrégation.
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Chemin faisant, notre guide commente parcimonieusement la flore sporadique – autant dire que ses interventions se limitent à un seul arbuste ;
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cette “chica1”, malgré son nom juvénile, accuse tout de même deux siècles d'existence, que trahissent son teint fripé et ses membres noueux.

1 Chica = fille, ou jeune femme.

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Bref topo historique : le parc naturel a été fondé en 1983, après qu'on en eut exproprié les indigènes, relégués généreusement dans des baraquements. Ailleurs. Voilà.
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Sur ces bonnes paroles, on remonte le lit d'un río asséché, qui par gros orage devient torrent déchaîné. Pour l'heure, la crème solaire est de rigueur,...
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...car les nuages ne sont pas pour tout de suite, et un soleil assassin cogne comme un sourd, réplique cérulescente du drapeau argentin.
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Le sol accuse de profondes gerçures, là où bizarrement la terre est demeurée humide, offrant l'aspect gaufré d'une éponge.
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Méfiez-vous de l'eau qui dort : l'érosion joue ici de sacrés tours {de potier} et il ne faudrait pas douter de la force du courant qui peut se déchaîner dans ce large canyon.
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Une pellicule blanchâtre saupoudre le sol, omniprésente : le site est riche en salpêtre, élément salin qui vient confirmer la présence d'eau,...
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...et peinturlure la roche purpurine d'un badigeon hâtif qui semble s'écailler : peinture fraîche aussi vraie que nature.
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Ailleurs, c'est un savant mouchetis, ou un crépis vétuste, comme on voudra – je rends mon pinceau, mon vocabulaire de peintre en bâtiment est limité.
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Au bout d'une heure de marche, nous profitons du seul espace ombragé qu'offre ce désert impitoyable, et nous nous recroquevillons à l'abri de la roche.
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Mais on repart derechef. Chans chacs. Ch'est moins lourd. Mais chans geau. Ch'ai plus de chalive. Fichu choleil. Chlurp.
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Au-dessus de nos têtes, plusieurs étages de tourelles semblent épier nos moindres faits et gestes – Vauban en aurait pris de la graine.
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Ah ! Nous touchons enfin le fond ! Un vrai cul de sac, effectivement. Torticolis garanti. On se sent surtout pris au piège, à la merci d'un orage ou d'un séisme.
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Jouant franchement avec le feu, je me porte volontaire pour étalonner ce cliché – péché d'orgueil ? que celui qui n'a jamais posé me jette la première pierre {il y a l'embarras du choix}.
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Le week-end s'achève par un modeste en-cas à Mina Clavero ; frugalité, sobriété et bonnes manières sont de rigueur – le cabrito est coriace, nous n'irons pas plus avant dans le reportage de ce pugilat sanguinaire. ¡ Buen provecho !

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