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“Où le temps suspend son vol”

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Carambolage de grosses cylindrées sur la Panaméricaine ? Recalés du Salon de l'Agriculture organisant une contre-exposition ? Que nous vaut donc ce carrefour coupé ???
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C'est un barrage du Campo insurgé qui, depuis 3 mois, paralyse les camions et ruine un pays exsangue, dans sa rébellion contre l'acariâtre Cristina. {On se gardera bien de prendre parti – ?!}.
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Contournant les trouble-fêtes par l'un des innombrables chemins de traverse qui ratissent le piémont de la Sierra Chica, nous goûtons à la tranquillité de ces hameaux retirés.
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Nous remontons la grand-{et-unique}-rue de Cañada de Río Pinto, et tournons au coin de son école, assoupie dans les tonalités pastelles de son architecture désuète.
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A la sortie du village, l'endormissement s'épaissit en une irrémédiable nécrose : ci-gisent les ruines d'une estancia palladienne, dont nous jaugeons le lustre fané à sa ronflante colonnade.
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D'un cachet plus naïf et moins prétentieux, quoique coquet, ces porches aux réminiscences mauresques ornent la plupart des pavillons de Villa Albertina, un bourg aux trois quarts fantôme –
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un cataclysmique orage de grêle l'a ravagé une nuit de 1969, emportant les toitures et effrayant tant et si bien la population que beaucoup s'en furent ailleurs échapper à cette divine malédiction.
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Avec les derniers remous septentrionaux de la Sierra Chica, nous aboutissons à Ischilín, dont la place centrale est écrasée par un épouvantable algarrobo pluricentenaire.
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Nul sabbat à ses pieds, mais le souvenir d'un acte historique majeur : ici fut ratifiée la Déclaration d'Indépendance de l'Argentine, le 30 août 1816, après qu'elle eut été proclamée et rédigée à Tucumán.
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Au chevet de la place se dresse la rondouillette et pimpante église d'Ischilín, bâtie en 1706 sur les ruines d'une précédente chapelle. Son porche monumental est un bel exemple d'architecture cuzquègne.
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Ravaudée il y a peu, sa peau neuve a déjà essuyé les ravages des intempéries, et les pigeons se sont chargés d'en patiner la façade à l'encaustique vitriolée de leurs déjections.
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Luttant contre vents et diarrhées, la Señora Encargada1 {menacée à tout instant d'être bombardée en-cagada2} s'acquitte avec ferveur d'un dépoussiérage sisyphéen.

1 “El encargado” est celui qui est “chargé de”, en l'occurrence l'entretien des lieux.

2 Non, je ne traduirai pas ce scatologisme déplacé...

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Elle ouvre à regret les portes de sa protégée à qui se risque à lui en demander la permission. Sous l'œil réprobateur de l'irascible duègne, nous détournons un prie-Dieu pour en faire un trépied –
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nous tentons tant bien que mal de capter l'atmosphère beurrée et peu photogénique de cette superbe nef rustaude aux pilastres ondoyants, minimalistes et un rien lascifs.
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Retour sur le parvis, changement de tonalité, le jaune d'œuf cède la place aux évanescentes couleurs nationales, un rien falotes sur l'outre-mer du ciel.
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Avec son vocable classique parcimonieux et raffiné, cette demeure 1800 est un magnifique héritage de l'époque coloniale, et mériterait d'être rafraîchie, à l'instar de ses voisines –
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ainsi cette petite boutique, dont même les fautes d'orthographes ont été restaurées, et qui a bénéficié des soins de Carlos Fader, autochtone philanthropique et conservateur passionné du patrimoine communal.
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A l'intérieur, ne cherchez aucun rafraîchissement : cet antique débit de boisson a été transformé en musée, et ses étagères en galerie d'incunables imbuvables. Dommage.
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La propre maison du señor Fader a également bénéficié de son coup de pinceau, digne à certains égards du talent de son illustre aïeul Fernando Fader, dont nous reparlerons un peu plus loin.
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Allons bon. Voici que sur un coup de tête Nico est revenu sur nos pas, à la Casa Celeste, et se lance frénétiquement dans une série polychrome “Réverbères, Ombres et Moulures” –
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une série qui ce faisant nous conduit à la Casa Rosada, troisième et dernier logis retapé par l'infatigable feutre fluorescent du sempiternel Fader. Une rangée d'arbres y imprime son ombre tel un motif de Jouy.
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C'est ici que nous logerons, dans cette “casa de campo” {table d'hôtes rurale} tenue par... Carlos Fader, évidemment. Cadre enchanteur et accueil chaleureux.
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Nous investissons les lieux sans scrupules, et, par l'odeur alléchés, nous procédons à une méticuleuse tournée d'inspection dans la cuisine, où l'on s'active pour le déjeuner.
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Un bataillon d'empanadas criollas tout juste fourrées, pleines à craquer de viande hachée, oignon, œuf dur, poivron, raisins secs, etc., attend de passer à la friteuse. Prometteur.
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Pendant ce temps, Jorge couve du regard le non moins traditionnel locro, mixture nauséabonde d'abats gélatineux surnageant dans un ragoût de maïs, courge et haricots. Fameux.
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Sur la plaque mitoyenne, la señora Fader nous instruit de sa recette de la marmelade d'oranges, à laquelle elle incorpore astucieusement des rondelles de carottes. Ingénieux.
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Pendant ce temps, Carlos Fader lui-même vaque à ses imprescriptibles devoirs de mâle argentin en s'activant autour de la parrilla, sur laquelle il jette bientôt les cortes1 de chevreau. Appétissant.

1 Corte{s} = morceau{x} de viande.

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L'après-midi, nous rendons une petite visite de courtoisie au grand-père Fader, Fernando, peintre argentin né à Bordeaux et représentant de l'impressionnisme allemand.
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C'est dans cette estancia isolée, à une dizaine de kilomètres d'Ischilín, que ce paysagiste attentionné de la sierra cordobaise vint soigner sa tuberculose, qui l'emporta en 1935.
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Quittant ce musée croquignolet et vaguement morbide, nous baguenaudons par quelques pistes rocailleuses, sillonnant cette nature luxuriante qu'affectionnait Fader en ses œuvres.
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Soudain, nous débouchons un peu à l'improviste sur cette église esseulée, fantaisie du XIXème siècle au style vaguement orientalisant, consacrée à la bolivienne Vierge de Copacabana.
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Les quelques masures alentours paraissent bien vétustes, et on peine à imaginer les festivités délurées qui s'y tiennent pour la procession annuelle de la Madone.
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Nous poursuivons notre exploration de cette portion de Sierra, cap sur le Cerro Colchequín, ou Charalqueta, épicentre spirituel de la culture millénaire des Comechingones.
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Nous faisons halte à Ongamira, autre foyer majeur de cette population indigène qui s'épanouissait sur l'ensemble des massifs de Córdoba et de San Luis.
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Vivant dans des cahutes de pierre, à demi souterraines, ils fréquentaient assidûment les grottes et rochers alentours, lesquels faisaient office de sanctuaire {comme au Cerro Colorado} ou de retranchement.
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Ce fut aussi le tragique tombeau de leur civilisation : lorsqu'une armée de conquistadores vint exterminer les derniers foyers de résistance, dans les années 1550,...
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...les survivants, femmes et enfants d'abord, se réfugièrent au sommet du Cerro Colchequín {en face}, et de là-haut se précipitèrent dans le vide pour échapper aux Espagnols.
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Alors que l'ombre du crépuscule s'allonge sur ce site macabre, nous nous éclipsons en catimini, silhouettes rupestres sur la pointe des pieds...

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