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“La saveur de la papaille rose”

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Bienvenue à Tigre. Son nom terrible {et erroné1} n'effraie plus les visiteurs depuis que le dernier des yaguaretés y a été exterminé. C'est même devenu la villégiature dominicale en vogue, et l'on se presse pour embarquer à bord des lanchas2 de l'Interisleña.

1 La culture populaire argentine a tendance à nommer indifféremment “tigre” ou “león” {lion} tous les félins autochtones, bien qu'il s'agisse de pumas ou de jaguars..

2 Lancha = canot, motorisé ou non, dont la taille varie de la simple chaloupe jusqu'à la navette fluviale.

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Tandis que la navette se faufile dans le dédale du Delta, sa chiourme entassée comme des Portègnes dans le métro aux heures de pointe, le pilote, lui, n'oublie pas la pava sur le feu et tire sur son maté avec la régularité d'un poinçonneur.
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Au gré de la myriade de canaux par lesquels le Paraná se fraie un chemin vers l'estuaire du Río de la Plata, l'Interisleña dessert une multitude de pontons, à la moindre requête d'un de ses passagers.
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Et quand personne ne manifeste le désir de débarquer, ce sont les résidents de telle ou telle bicoque qui sollicitent qu'on les embarque. Le voyage passe ainsi en une succession d'accostages et d'abordages, avec l'aisance d'un bondi1 – mais certes avec davantage de charme.

1 Bondi = terme de lunfardo désignant un autobus.

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Le pourtour de chaque îlot est méthodiquement parcellisé en un front continu de propriétés : modeste maisonnette ou vaste datcha, complexe de bungalows ou posada cossue – les pilotis sont de rigueur. Ici, l'antique résidence estivale du président Sarmiento, patrimoine historique jalousement protégé des intempéries.
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Côté négoce, il faut tabler sur l'accessibilité en canot particulier, seul moyen de transport utilisé par les riverains : pour avoir pignon sur ru, stations-services et supérettes s'avancent sur de branlantes jetées.
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Après avoir emprunté les ríos Sarmiento puis Capitán, notre omnibus débouche sur l'un des principaux bras du fleuve, le río Paraná “de las Palmas”, où naviguent de plus gros tonnages. Nous gagnons l'autre rive et réintégrons aussitôt le labyrinthe.
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A mesure que l'on s'éloigne de Tigre, la puissance de l'érosion fluviale augmente, conjointement aux coûts de transport : la densité des résidences s'amenuise, et ceux qui ont construit s'en mordent parfois les doigts ; l'écosystème luxuriant a tôt fait de reprendre le contrôle des berges.
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D'ailleurs, la plupart des parcelles sont ici vouées à l'exploitation forestière ; sur l'arroyo Capitancito par lequel nous transitons maintenant, on croise moins de vedettes de plaisance que de barges affectées au transport du bois.
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Enfin nous arrivons à destination, en ce qui nous concerne – la lancha, elle, n'en a pas encore fini, et sitôt déchargé sa cargaison elle pétarade de plus belle vers le prochain débarcadère. Rapidement, le silence se réinstalle, et nos tympans l'accueillent avec bonheur.
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L'Hostería Los Pecanes est une escale enchanteresse. Accueil, confort et activités y sont pour quelque chose, mais la vraie magie de cet endroit calme et arboré tient à l'affabilité particulière de ses plus fidèles locataires...
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Tout au long de l'année, avec toutefois une prédilection bien compréhensible pour le printemps, des hordes de voraces colibris maraudent dans le Delta et assaillent les plantureux massifs qui agrémentent nombre de jardins.
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En prévision de saisons moins fastes, et pour le plus grand bonheur des visiteurs, les isleños1 s'équipent généralement de petites mangeoires remplies d'un nectar aussi savoureux que calorique, qu'ils suspendent en grappe aux poutres des galeries.

1 Isleño = insulaire, terme par lequel on désigne les habitants du Delta

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Nos oiseaux-mouches en sont particulièrement friands, délaissant volontiers les fastidieux hortensias pour cette providentielle boisson énergisante dont les distributeurs sont, comble de la tentation, dotés de très agréables tabourets. Et la déco est résolument branchée.
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Certains individus deviennent d’authentiques piliers de perchoirs, totalement accros au Pink Bulle, et n'ont plus aucune velléité d'échapper à l'objectif inquisitoire du photographe ; la pupille dilatée de cette Émeraude Splendide trahit cependant son émoi intérieur.
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Tel Astérix ingurgitant sa potion magique, toujours bondissant sous l'effet de l’élixir, les ailes de son casque se dressant frénétiquement – ainsi le colibri survolté, lorsqu'il tète la mixture douceâtre, frétille-t-il de toutes ses plumes, incapable de déguster posément.
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A l'écart de ces fly-in pour junkies pétulants, de vieux barbons revêches maugréent contre cette nouvelle société de consommation – ou est-ce par pédanterie de joaillier que le Saphir à Queue d'Or ne fréquente pas les autres gemmes-volants ses compères ?
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Au bout d'un certain temps, le vrombissement perpétuel des colibris finit par étourdir, et l'on cherche un peu de répit sur le brin de plage qui borde la propriété. La chaleur, du reste, est accablante – me baignerai-je ? Le hamac me tend les bras – à moins qu'un petit somme sur le sable moelleux...?
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Encore heureux que nous n'ayons pas retenu cette dernière option pour la nuit ! Le lendemain, avec les pluies diluviennes qui sont tombées beaucoup plus haut en amont, le niveau des canaux a monté brusquement et inondé les berges jusque loin à l'intérieur des îlots. Un phénomène très fréquent, qui justifie les pilotis.
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La fin du week-end nous rappelle vers la terre ferme, et nous reprenons l'Interisleña en sens inverse. Les moussaillons affectés aux opérations de transbordement sont vannés et profitent à leur tour d'un peu de repos bien mérité !

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