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“La vie en bleu”

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Córdaba Capital, le 20 juin. Le Día de la Bandera1 se lève sur une Plaza San Martín parée de couleurs patriotiques – le pimpant cabildo se pavane ; la crasseuse cathédrale fait la gueule.

1 Día de la Bandera = Jour du Drapeau, fêté tous les 20 juin, date anniversaire de la mort de son créateur le général Belgrano.

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Les bâtiments officiels pavoisent à qui mieux mieux. Ici, les bannières qui ne se sont pas emmêlées claquent au vent et rompent heureusement la rigide colonnade du Teatro San Martín.
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Là, ce ne sont point de livides serpillières qui sèchent au soleil aux balcons des résidences du quartier estudiantin de Nueva Córdoba, mais bien d'authentiques étendards nationaux hâtivement jetés sur les balustrades.
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Les plus fervents patriotes se contentent de donner un petit coup de chiffon à leur mobilier de jardin, que les fabricants aiment généralement à affubler des couleurs argentines – très vendeur!
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Partout ce n'est que joie et allégresse, taxis jaunes et verts remises arborent chacun leur petit drapeau, tandis que les enseignes se dévêtissent hardiment – pour le reste, chacun vaque à ses occupations quotidiennes.
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Mais là encore, même les banales allées du Mercado Sur sont nimbées d'un éclat céleste qui, pour un peu, vous transporterait au paradis entre la poire et l'aubergine. Une petite odeur de tripes gâche cependant l'apothéose.
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C'est le pompon ! Ou plutôt la cocarde... Pour parfaire la mascarade, chacun s'empresse de se crever le téton avec la traditionnelle escarapela. Remarquez : c'est toujours plus guilleret que le Bleuet de France.
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Mais trêve d'incivisme ! Nous sommes ici pour une petite leçon de chauvinisme appliqué, qui a lieu à proximité de la Plaza San Martín. Notre ayatollah vient tout juste d'arriver...
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Sans tarder, il débâche ses menus effets, tout un bric-à-brac de haute technologie, et ce faisant il taille le bout de gras avec un affable sympathisant, coutumier de ce déballage tri-hebdomadaire.
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On s'étale, on fait comme chez soi – en un rien de temps, rôdé par des années d'assiduité, l'ami-treillis a dispatché ses effets personnels, et transformé la placette en une sorte de friperie de surplus militaire.
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Cependant, nous nous extasions poliment sur le beau design de sa noble monture, intéressant ouvrage de tuning patriotique. Et passons sans plus badauder au vif du sujet.
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Le thème du cours est écrit en capitales sanglantes : « Interdit de les oublier – elles ne sont pas négociables ». Qui ça, « elles » ? Les Malouines, pardi ! Leur profil déchiqueté n'est un mystère pour personne.
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Bien. Qui se lance ? Pas peu fier de son étal, notre matelot flatte le chaland de son sourire candide. Un pote est venu en renfort – c'est que les Malouines, ça se prend pas si facilement.
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Question badauds, en revanche, ça mord ! Par curiosité, ou pour tuer l'ennui, on s'approche, on s'informe. Certains même s'évanouissent – mamie recouvre ses esprits sur un siège diligemment fourni par nos forains – des braves gars, dans le fond.
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Voyons voir les intéressantes thèses développées par nos deux érudits. Ce panneau-ci fait état de l'invasion conjuguée des Yanquis1 et des Anglais. Tandis que les premiers sont accusés de pillage économique {sous forme de gracieux investissements que peu sont disposés à réaliser dans ce pays sur-endetté},...

1 Yanqui = “yanquee”, terme un rien péjoratif par lequel les Argentins désignent généralement les ressortissants des États-Unis.

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...les seconds se voient incriminer des pires barbaries – les Malouines, hier comme aujourd'hui, sont le commode défouloir d'une opinion publique manipulée. La junte argentine n'avait pas besoin du concours de Mrs Thatcher pour décimer la jeunesse argentine. [voir à ce sujet le problème des Desaparecidos]
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Autre thème de prédilection des deux lascars, les couleurs du drapeau national. En un fastidieux laïus où abondent les contre-vérités, il est démontré par A plus B que l'emblématique celeste argentin est traître à sa patrie. [Bons princes, nous en détaillons l'argumentaire ici]
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Si ces savantes démonstrations, aussi bancales que savoureuses, vous ont convaincu, vous pourrez repartir avec un joli pin's aux authentiques couleurs nationales. Pour les plus enthousiastes, une adhésion au mouvement Condor vous permettra sans doute de participer aux prochains ateliers de rue.
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N'en déplaise aux sarcastiques et autres fichus impérialistes étrangers {étiquettes que notre sympathique bonimenteur nous a collée d'office}, il faut bien reconnaître que l'on se bouscule pour écouter ce son de cloche galvanisant et mirifique. Certains se gaussent, on ne les en blâmera pas.
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Quant à nous, nous préférerons définitivement la version naïve et incorrecte, mais pacifique, telle qu'on l'enseigne à l'école : le drapeau est bleu clair comme le ciel, et non foncé comme les eaux sombres de l'Atlantique Sud. Espérons que les nouvelles générations se le tiendront pour dit !

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