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“Télescopage et carambolage”

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Après quelques centaines de kilomètres de morne plaine, et plusieurs milliers d'insectes explosés sur le pare-brise, nous abordons les premiers reliefs andins de la Sierra de Talacasto, Province de San Juan.
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La Route Provinciale 149 se faufile agilement dans la Précordillère et emprunte la Quebrada de las Burras1, qui bientôt rejoint la vallée du Río San Juan.

1 Quebrada de las Burras = Gorge des Ânesses

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Régime nivéal oblige, en ces premiers jours de l'automne l'impétueux torrent a bien amorcé sa décrue et coule nonchalamment entre les Sierras del Tontal et del Tigre.
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Nous en remontons le cours en fanfare, klaxonnant docilement à chacun des nombreux virages de cette piste précaire qui surplombe le río sur son remblai de fortune,...
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...et notre avertisseur nasillard effarouche la paisible faune locale, tel ce canard dont la silhouette se découpe curieusement en ombre chinoise.
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Au terme de cette gorge, nous débouchons dans le Valle de Calingasta, vallée méridienne bordée à l'ouest par les sommets enneigés de la Cordillère andine de Ansilta, qui culminent autour des 5800 mètres d'altitude.
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Nous faisons halte dans un repli de la Sierra del Tontal, baptisé El Alcázar en vertu de son hypothétique ressemblance avec le palais homonyme de Séville.
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Plusieurs heures de contemplation ne parviennent pas à nous convaincre d'une quelconque parenté entre ces tourelles érodées et la forteresse omeyyade,...
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...si ce n'est, peut-être, ces hérissements diaprés qui évoqueraient, sens dessus dessous, les plafonds en dentelles de stuc et mocarabes d'un salon mudéjar.
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Pareille prise de tête a raison de mon endurance, et je m'autorise une petite sieste sur ce divan, qui vient fort à propos mais se révèle au demeurant bien peu confortable ;
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et lorsqu'il faut redescendre de ce perchoir, les sueurs froides me font bien cher payer le mal de dos que je me suis choppé à jouer les califes languides !
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Délire métaphorique et trouille bleue qui font bien marrer Nico, comme d'hab'. Puis nous retournons à la voiture {en bas, en tout petit} pour nous rapprocher des Andes {en fond, en tout gros}.
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Plus avant dans le Valle de Calingasta, nous faisons une brève étape à Barréal, dont seule son église Jésus de la Bonne Espérance mérite une petite photo rapide.
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Au sud de Barreal s'étend le Parc National El Leoncito, créé en 1994 sur les ruines de l'estancia du même nom, qui jadis hébergea San Martín avant sa traversée des Andes.
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Du domaine colonial, il ne reste que ces exotiques allées de peupliers, rempart indispensable contre le vent et le soleil, lorsque la température varie quotidiennement de 8 à 32°C en été.
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L'eau, malgré les apparences de ce cliché où elle coule à gros bouillon, est une ressource limitée dans le Parc, et alimente parcimonieusement le vital réseau d'irrigation.
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Pour le reste, cet environnement hostile ne brille pas franchement par sa luxuriance – on se croirait plutôt sur quelque satellite de Jupiter...
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En parlant d'astronomie, voici le motif principal de notre présence : nous sommes venus observer ce drôle d'oiseau au ramage immaculé, qui niche à 2552 mètres d'altitude ;
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il s'agit du CASLEO {Complejo AStronómico el LEOncito}, construit en 1986 par l'université de San Juan, avec l'aide de ses homologues de Córdoba et La Plata1, et dont les principaux champs de recherche concernent l'origine des étoiles, l'évolution chimique de notre galaxie, l'éloignement des galaxies, et les Nuages de Magellan.

1 Les villes de Córdoba et de La Plata sont pionnières en la matière ; elles furent les premières à se doter respectivement d'un observatoire astronomique, en 1871, et d'une école d'astronomie, en 1935, grâce à l'ambition de l'illustre président argentin Domingo Sarmiento.

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La visite débute au rez-de-chaussée, par cette curieuse capsule rouge : il s'agit d'une machine à laver, mais en guise de linge ce sont les miroirs du télescope qu'on y nettoie.
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Ce bloc de béton est le socle du télescope, désolidarisé du bâtiment et profondément fiché dans l'écorce terrestre afin d'amortir les quelques 20 secousses sismiques {bénignes} quotidiennes.
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A l'étage gîte “Jorge Sahade”, télescope de son état, beau bébé de 40 tonnes, plus agile qu'une puce dans les mouvements millimétrés que lui communique ses leviers.
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La coupole, pivotant sur ses boggies, permet d'orienter l'étroite fenêtre de visée par laquelle le télescope épiera telle portion du ciel et, partant, de l'univers ;
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un ciel d'une grande pureté, protégé dans l'enceinte du Parc par la Loi provinciale 5771 qui en garantit les vertus : 270 à 300 nuits par an sont ainsi d'une clarté exceptionnelle.
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Pour compléter le dispositif, ce radiotélescope solaire, fruit d'une collaboration internationale avec la Suisse et le Brésil, étudie l'activité superficielle de notre Étoile.
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Le sommet du Cerro Burek a quant à lui été concédé à l'Université de Toronto pour y installer ce petit télescope à vocation exclusivement photométrique et spectroscopique.
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Le Parc abrite un deuxième observatoire indépendant, la “Station Astronomique Dr. Carlos Cesco”, plus ancien, et surtout plus rudimentaire avec sa coupole coulissant sur des rampes en béton.
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Construit en 1964 par l'Université du Cuyo, chapeautée par les nord-américaines Yale et Colombia, il visait à étendre à l'hémisphère australe les travaux effectués dans la boréale.
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Avant d'être digitalisé en 1997, son télescope réfracteur consommait des plaques photographiques importées des USA, qu'il fallait ensuite retourner pour y être développées. Ici, une comète.
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Toutes ces histoires d'étoiles nous ont donné des envies de jouer les constellations, et nous nous exerçons sur le sol du Barreal Blanco, à la sortie d'El Leoncito.
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Ce désert craquelé est tout ce qu'il reste d'un lac asséché il y a plusieurs centaines de milliers d'années : un tarmacadam poussiéreux qui fait le bonheur des amateurs de char à voile !
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Sur ses 12 kilomètres de long, pour 5 de large, les bolides s'affrontent à plus de 130 km/h lors des compétitions internationales ; nous l'avons testé pour vous, mais en voiture !
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Bordant la Pampa del Leoncito à l'ouest, et prolongeant la Cordillera de Ansilta, voici le Cordon de la Ramada, ou “Balcon des Six”, dont la demi-douzaine de sommets dépasse les 6000m.
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A l'extrémité nord de la crête se dresse l'imposant Mercedario, au pied duquel nous accomplissons les quatre jours suivants un trek de toute beauté, que nous narrerons dans le second album de ce périple [si vous n'avez pas la patience d'attendre : accès direct].
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Pour l'heure, considérons que notre trek est terminé, et quittons le Valle de Calingasta par la rocambolesque RP153, qui se fraie un passage au travers de la Sierra del Tontal, empruntant le lit d'un oued ;
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800 mètres de dénivelé plus bas, nous déboulons dans quelque annexe de la Vallée de Tulum, où les vignobles font leur apparition.
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Cependant, l'activité frénétique qui anime le bled de Los Berros ne tient pas à la viticulture {ni au cresson, contrairement à la toponymie1}, mais à la chaux ;

1 Los Berros = les cressons

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la petite sierra de Zonda, ultime relief avant la plaine de San Juan Capital, disparaît dans le nuage de poussière blanchâtre qui s'enroule autour des fours à calcination.
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Plus loin, un piocheur solitaire s'attaque ambitieusement à la roche : prospection clandestine ? bagne kafkaïen ? tant de cœur à l'ouvrage ne laisse pas de nous intriguer !
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Le ballet des camions est incessant, et certains chargements audacieux font froid dans le dos. « Double-moi vite cet équilibriste, Nico, qu'on n'aille pas se ramasser une palette sur le capot ! ».
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Décidément charmés par cette région industrieuse, nous poussons le vice jusqu'à déjeuner dans ce routier propret, unique restau du coin ; une gigantesque “costeleta a la Riojana1” y a raison de notre fringale.

1 Costeleta de cerdo a la Riojana = côtelette de porc à la mode la province de La Rioja ; il s’agit d’une gigantesque côte de porc marinée, recouverte d'un œuf sur le plat et accompagnée d'une platée de petits pois et de frites – un délice !

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Au sortir, le parking embaume une odeur effrayante, qui provient à l'évidence de ce chargement de raisin, dans un état avancé de fermentation en pareil cagnard. A l'arrière-plan...
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...un immense panneau retient notre attention, et une pensée émue pour mon frangin nous incite à dévier notre trajet par le bourg de Media Agua, pour aller saluer Saint Antoine ;
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las, quelle déception : le sanctuaire n'est pas ouvert ; il faut {nous informe-t-on} traquer le Père Untel parti vadrouiller dans la campagne avec les clefs de la boutique ;
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peu disposés à courre la soutane parmi les vignes, quand bien même il y avait une intrigante relique1 à la clef, nous prenons congé de la flopée de collégiens padouans accourus voir les deux Français.

1 Nous avons appris depuis la nature et l'origine de cette relique, dont la présence ici nous avait étonnés : il s'agit d'un morceau de la peau du saint. L'histoire est la suivante : nous sommes en 1987, un groupe de moines de la Basilique de Saint Antoine, celle de Padoue, réalise un voyage dans la région de San Juan ; soudain, leur auto tombe en panne, en un endroit qu'ils s'imaginent être le trou du... bout du monde {les moines ne proféraient sans doute pas de grossièretés}... Heureusement pour eux, le bled où ils ont échoué, et qui se révèle être Media Agua, possède un garagiste ; miraculeusement pour eux, le même bled est pourvu d'une église consacrée à devinez qui : Saint Antoine de Padoue ! La coïncidence est stupéfiante, d'autant plus que le garagiste avoue aux moines avoir justement prévu un petit voyage à Padoue le mois prochain. Les voies du seigneur, n'est-ce pas, sont sacrément alambiquées ! Toujours est-il que les moines repartent en Italie. Le garagiste, lui, effectue comme prévu son petit pèlerinage outre-Atlantique, et lorsqu'il arrive à Padoue, ses vieux potes les moines le reconnaissent {ils l'attendaient un peu, en même temps...}, le fêtent, et lui offrent en remerciement une de leurs reliques : ce bout de peau, dont l'histoire dit que le garagiste la ramena chez lui dans sa poche !

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Puis nous louvoyons entre cuves et camions dans la plaine viticole de San Juan, qui élabore un délicieux Syrah, concurrent très émérite de l'hégémonique Malbec mendocino.
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Les moyens logistiques sont un peu rustiques ; mais pour répondre à l'engouement des Argentins pour le vin, et à l'explosion de la demande internationale, la production nationale caracole au 5ème rang mondial !
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De la rusticité à la déficience, il n'y a qu'un tour de roue : ce pont amoché vient d'encaisser un accident spectaculaire, et sa chaussée est couverte d'une lie fraîche qui empeste la vinasse macérée – attention, verglas !!
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Qu'est-ce que je disais !!? C'était inévitable : la gadoue violacée a provoqué un épouvantable carambolage – que dis-je ? un carnage !!
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Pas de panique – pas la peine de prévenir les secours – ces carcasses gisent au soleil depuis des décennies {notez les modèles !!} – nul accident, mais une “composition” joliment orchestrée.
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C'est un sanctuaire en l'honneur de Nicolás Caputo, conducteur de taxi sauvagement assassiné en 1939, ici même, alors qu'il véhiculait deux truands cordobais {ce dont il ne se doutait pas, évidemment}.
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Depuis, l'endroit est devenu un lieu de culte où la ferveur des automobilistes se traduit par les innombrables offrandes de pièces détachées, sensées pallier l'incurie d'une bien lacunaire sécurité routière.
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Il faut avouer que la plupart du temps la signalisation se résume à ce genre de totems rutilants, qui ponctuent les soporifiques lignes droites et vous aideront peut-être à survivre au premier virage...
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Car Gauchito Gil, la divinité tutélaire de ces autels rouge vif, préside aux voyages heureux – mieux vaut faire une pause-grigri lors des longs trajets...
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Vous y déposerez un cierge, comme d'autres souscrivent une assurance auto ; ou vous laisserez un mégot encore fumant, plutôt que de réaliser un contrôle technique.
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Il ne vous restera plus ensuite qu'à laisser les Parques tisser méticuleusement les fils de votre destinée, selon les ordres du Gauchito...
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Non – cette histoire de Moires est pure invention de ma part ; cette mante n'est pas plus religieuse que ça... Laissons-la bronzer tranquillement, et poursuivons notre voyage sous les auspices du Code la Route.
Le périple « Le ciel, tentatives d'approche » n'est pas terminé ; poursuivez l'aventure !

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