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“Obélisque et compagnie”

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Voici Buenos Aires, émergeant de l'enfer vert de la jungle inextricable et impitoyable,...
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...dans laquelle rodent les fauves les plus féroces, tel ce redoutable cuis en embuscade,...
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...et roupillent les citadins égarés qu'un soleil de novembre, printanier tirant sur l'estival, assomme sans miséricorde.
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Nulle forêt vierge, rassurez-vous, nous badaudons simplement dans la Réserve Écologique “Costanera Sur” qui s'étend entre la ville et la côte ;
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malgré les atours plaisanciers de la jetée des pêcheurs {regrettablement réservée à ses adhérents},...
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...nous ne sommes qu'à quelques encablures du port maritime, sur les rives du vaste Río de la Plata.
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En retrait du front d'estuaire, la spéculation immobilière fait rage, et les grues de chantier ne chôment pas,...
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...tandis que leurs consœurs des docks se sont depuis longtemps immobilisées en d'arachnéennes sculptures qu'un Calder apprécierait sans doute.
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Il s'agit de Puerto Madero, le vieux port désaffecté, reconverti en quartier d'affaires, avec son lot de restaurants branchés et de logements huppés.
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Quoiqu'en cherchant bien, on trouvera encore un vieux silo à grain, dont les projets de requalification ne manquent pas,...
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...ainsi que d'antiques grues que l'on a conservées comme de respectables reliques de l'âge d'or argentin, du temps où le pays se vantait d'être “le grenier à blé de l'Europe.”
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Quant aux rares embarcations, elles sont définitivement amarrées à quai {exception faite des yachts du port de plaisance, Bassin 4},...
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...telle la Frégate Sarmiento, historique bateau-école de l'Armada Argentina, désormais à la retraite.
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D'un coup de taxi, nous migrons vers l'Avenida de Mayo1, axe du pouvoir qui relie en une pompeuse ligne droite les organes législatif et exécutif ;

1 “Avenue de Mai”, en l'honneur de la Révolution du 25 Mai 1810, déclencheur de l'indépendance de l'Argentine ; c'est l'une des deux fêtes nationales.

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à l'Ouest, le “Congreso”, siège des deux chambres du Parlement, qui, par temps maussade, est aussi réjouissant qu'une prison.
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Rien n'y fait: sous quelqu'angle que ce soit, malgré lampadaire romantique et arbres printaniers, la bâtisse demeure d'une austérité décourageante.
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Et ça n'est pas le cadre architectural de la Plaza del Congreso qui puisse égayer l'ensemble : ni cet hybride de moulin sordide qui abritait jadis une confiserie renommée,...
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...ni la juxtaposition éhontée de vieilleries pastichisantes et d'immeubles sans complaisance,...
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...ni les panneaux publicitaires qui couronnent la plupart des immeubles,...
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...non plus que cette charmante hôtesse à la devanture d'une pharmacie – rien n'égaie le secteur.
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L'Avenida de Mayo, pourtant, recense quelques constructions plus aimables,...
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...tel l'emblématique Palacio Barolo, de 1923, traduction architecturale de la Divine Comédie selon son concepteur ;
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sa tour, représentant « les Neuf Chœurs Angéliques » mentionnés par Dante, est doté d'un phare1 de 300.000 bougies.

1 Il a été momentanément réactivé en 2010, pour les festivité du Bicentenaire.

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D'autres façades d'un autre style embellissement notoirement la plus majestueuse avenue de Buenos Aires.
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Nous repartons prestement en sens inverse {gare aux piétons !}, pour gagner l'extrémité orientale de l'Avenida de Mayo.
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S'y dresse la façade mirliflore de la Casa Rosada, siège de la Présidence de la Nation – sa couleur est un objet permanent de querelles historiennes.
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En vis-à-vis, autour de la Plaza de Mayo, voici le Cabildo, antique municipalité coloniale, fautrice de la révolution de 1810.
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A côté, ce temple rikiki à la colonnade lilliputienne, écrasé par des constructions plus modernes, c'est la cathédrale métropolitaine,...
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...où reposent les cendres du glorieux Libertador San Martín, à la mémoire éternelle de qui brûle cette flamme – malgré tags et graffiti1 subversifs...

1 « Avortement libre et gratuit ! »

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Nous empruntons derechef l'Avenida de Mayo, mais en souterrain cette fois-ci {excusez la piètre qualité de cette photo, il y avait de la bousculade} ;
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sur la Ligne A roulent encore les antiques rames de métro en bois, à l'ambiance tamisée et aux portes à fermeture manuelle.
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Nous refaisons surface sur l'Avenida 9 de Julio1, la plus large du monde {toute légendaire vantardise argentine mise à part} : 14 voies au sens strict, plus de 20 avec les contre-allées !

1 “Avenue du 9 Juillet”, en hommage à la seconde fête nationale argentine, le 9 Juillet 1816, jour où fut déclarée l'Indépendance des Provinces Unies du Río de la Plata.

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A quelques pas s'élève la Tour Eiffel locale, ce fameux “Obelisco” qui célèbre depuis 1936 les 400 ans de la première fondation de la ville.
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Vers le Sud, le stalinien Edificio MOP1 est, avec l'ambassade de France tout au Nord, le seul rescapé du percement de cette artère, dont il empiète sans scrupules pas moins de 5 voies.

1 MOP, Ministerio de Obras Públicas = Ministère des Travaux Publics

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Là encore, l'architecture de cet axe magistral laisse à désirer, et ressemble davantage à un vaste espace publicitaire,...
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...sans doute très attrayant mais tout de même bien encombrant – et que penser de la concentration des automobilistes !?
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Quant à vouloir traverser cette avenue à pied, au nez et la barbe d'un front continu d'automobilistes sur les starting-blocks,...
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...cela relève précisément d'un 140 mètres-haie, avec le stress du compte-à-rebours en prime.
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A quelques cuadras de l'Obélisque, voici sous les échafaudages le Teatro Colón1, la plus grande salle d'opéra de l'hémisphère sud {derrière celle de Sydney – gardons la tête froide}.

1 Autrement dit, le Théâtre Christophe Colomb ; en réfaction depuis 2007, il devait rouvrir pour son centenaire, en 2009 ; les travaux ayant souffert quelques complications, il a fallu attendre le Bicentenaire de l'Argentine, en mai 2010.

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A ses côtés se trouve l'École Président Roca, du nom de celui qui massacra sans vergogne les peuplades indigènes de la Pampa ; le tri des ordures, ici, n'est pas toujours très évident...
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Sur le versant opposé de la Plaza Lavalle, un bel exemple d'intégration de l'ancien au moderne émet un bulletin météo optimiste.
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Nous changeons de barrio1, et empruntons l'élégante Avenida Quintana, qui présente ce profil de constructions élevées propre au centre-ville.

1 Barrio = quartier ; contrairement à un célèbre air de tango, Buenos Aires ne compte pas 100 mais 48 barrios

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Elle débouche magistralement sur l'église éponyme du barrio de la Recoleta, dont le cadre un rien champêtre rappelle que cet ancien couvent franciscain s'étendait naguère en pleine campagne.
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Le modeste campanile de Nuestra Señora del Pilar {1732} égrenait jadis le planning des offices monacaux, avant que l'ordre ne soit dissout en 1822 ; à cette date, leur potager fut reconverti...
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...en cimetière public. Avec l'embourgeoisement de la Recoleta à la fin du XIXème, l'endroit fut rapidement accaparé par l'aristocratie portègne.
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Y reposent la plupart des grandes figures de la politique argentine des deux derniers siècles – nous nous contenterons d'évoquer Sarmiento, dont un condor veille le mausolée.
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Cet équivalent du Père Lachaise, ombragé mais moins verdoyant – et absolument pas vallonné – attire les foules dominicales ; mais à la longue, on finirait par attraper le bourdon.
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Nous glanons un peu de distraction sous les voûtes gothiques des rues de Palermo, ancien quartier ouvrier de la périphérie portègne, reconverti en barrio bobo par excellence.
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Puis nous changeons totalement de cap, direction El Sur, pour vérifier que les faubourgs prolétaires ont décidément le vent en poupe, même s'il tourne {socialement parlant}.
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L'histoire de San Telmo est d'ailleurs celle d'une valse des classes, à l'image du “Pasaje Defensa”, dont les proportions et le vocabulaire architectural sont typiques des demeures aristocratiques du début du XIXème siècle ;
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mais à la suite de l'épidémie de fièvre jaune qui accabla Buenos Aires dans les années 1870, la bourgeoisie portègne chercha refuge sur les hauteurs de la Recoleta, dont elle lotît rapidement les vastes domaines ruraux.
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San Telmo désertée devint alors le refuge des hordes de migrants qui débarquaient à la même époque et s'entassèrent dans les anciens palais, reconvertis en conventillos. Ces aimables dentelles sont une caustique allusion à la promiscuité d'alors.
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Aujourd'hui, alors que les derniers conventillos sont délogés manu militari, San Telmo est devenu un barrio bohème, plébiscité par les artistes de tout poil,...
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...et submergé par des milliers de touristes auxquels on donne en pâture des souvenirs plus ou moins authentiques.
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Defensa, la rue principale du quartier, s'est d'ailleurs convertie en une succession d'antiquaires, dont plusieurs vous donnent “gatos por liebres1”...

1 Dar gatos por liebres = faire passer des vessies pour des lanternes.

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Ces véritables cavernes d'Ali Baba sont sujettes à d'insolubles mystères – le personnage central, courbé et décapité, entre les “jumeaux”, n'est autre que le photographe lui-même...!
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Dominant San Telmo, voici l'église tutélaire du barrio, qui abrite une relique de San Pedro González Telmo, patron des pêcheurs.
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Ses tours furent agrémentées de céramiques bleutées dans les années 30, en plein engouement pour le pseudo-style néo-colonial.
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Mais au royaume du kitch, c'est à La Boca que revient la palme. Au sud du Sud, cet ancien barrio de rudes dockers est devenu le temple du fileteado et du tango ;
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le premier s'est emparé des moindres enseignes, tissant ses motifs alambiqués et clinquants, sorte de rococo hollywoodien, avec la voracité d'une plante carnivore ;
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le second est l'objet d'une industrie de la photo-souvenir qui vous passe l'envie d'en apprendre les pas, tant chacun des vôtres se heurte à d'inlassables solliciteurs.
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Qu'importe. Nous flânons quelques instants dans Caminito, la ruelle principale, bordée d'anciens conventillos dont les façades de tôle ont été badigeonnées dans les années 50 par le fameux peintre Benito Quinquela Martín.
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Ce dernier voulait magnifier en cela une tradition centenaire, qui enduisait sous une solide couche de couleurs toute la misère d'un quartier prolétaire. Aujourd'hui encore, les alentours de Caminito ne sont pas précisément reluisants.
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Le mot de la fin sera donné par Nico, de retour à Puerto Madero. Il dit toujours que les hauts lieux du tourisme portègne, c'est comme un délicieux fondant au chocolat –
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à vouloir tout avaler en un temps record, on finirait vite par frôler l'écœurement !

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