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“Qu'elle soit verte ma vallée”

Ce carnet de voyage fait partie d'un périple plus vaste. Reprenez-le depuis le début ! C'est ici : « Un Festival de Palmes ».
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– « Oh non ! Ça n'est rien, je vous assure : c'est un tout petit vent de rien du tout, ça, les enfants, une bourrasque tout au plus... ». Ah bien. C'est juste qu'elle s'est coiffée avec un pétard, alors ?
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Stop – je garde ma vanne pour moi. On ne goûte guère les boutades dans ces contrées austères où il faut toute la foi brutale du colon pour arracher quelques arpents de cultures à la frugale terre patagonne.
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Sous ses airs d'éden verdoyant tout droit tirés d'un roman de Richard Llewellyn, le Labrador n'est qu'une oasis au beau milieu de la steppe, solidement abritée des insatiables rafales par des herses de peupliers.
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Quand à ces douves miniatures, elles drainent les eaux parcimonieuses qu'un arroyo soutire aux glaciers andins – avec 125 mm de précipitations annuelles, il ne faut pas compter sur la pluie pour l'arrosage.
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Canaux, trappes, nivelage des terrains : un labeur colossal, qu'une poignée de familles galloises, polonaises et lituanienne ont entamé en 1897, date de la fondation de la “colonie pastorale” Sarmiento.
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Et comme le colon est d'une nature généralement ambitieuse, leur conquête du désert ne saurait avoir de cesse : des légions de boutures de peuplier attendent d'enlever de nouvelles parcelles.
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Au cœur de la forteresse de peupliers, il est encore un autre ennemi contre lequel lutter, après le vent et la sécheresse : le froid ! Pour dorloter le potager, on dresse des bûchers – si ça marche, je vous paie des cerises !...
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Eh bien, justement : voici les petits protégés d'Annelies, notre hôte : un bataillon de cerisiers, bichonnés amoureusement. La Cerise de Patagonie s'exporte à prix d'or vers les gourmandes agglomérations du bassin de La Plata.
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D'une préciosité moindre, mais d'un rendement assez lucratif, la luzerne est l'une des rares cultures à s'être adaptée à l'aride Patagonie. Une équipe de bandurrias se charge d'en piétiner les jeunes pousses.
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Et voici le casco1 de l'estancia El Labrador, solide bâtisse construite en 1930 par le Lituanien Simón Vasnielis, et qui ensuite appartint à son héroïque compatriote Casimiro Szlapeliz, lequel y adjoignit un rustique sauna, toujours en activité.

1 Casco = bâtiment central d'une estancia, où résident les propriétaires.

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Excusez-moi, je m'absente : jaloux des caresses précédemment prodiguées au chat de la maison, le gardien de la propriété quémande un peu de tendresse avec des yeux de chien mafflu à qui rien ne manque.
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Nous aussi nous avons besoin d'un peu de douceur ! Nous tâchons de soutirer quelques alfajores aux employées de la maison qui s'apprêtent à empaqueter cette belle fournée tout juste sortie du four. Au pire, nous en achèterons une caisse.
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Du reste, l'heure n'est pas encore au dessert, et les sympathiques maîtres des lieux, Nicholás et Annelies, nous régalent d'un succulent cordero patagónico. Il nous faut bien ça pour affronter les rigueurs du climat.
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Rigueurs, pour ne pas dire vigueur, voire douleur... Ne vous fiez pas à cette photo bucolique aux tons chaleureux et au ciel aimable ; elle coûta à son auteur une pluie de météorites miniatures malicieusement fichées dans les rouages de son appareil.
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Car sitôt sortis de l'auto {si tant est qu'on y arrive tant les portières s'y résistent}, un ouragan diabolique s'échine à nous briser en deux et à nous épousseter hors de ce paysage dantesque balayé de tourbillons de poussière.
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Les paupières ensablées, accroupi au ras du sol pour tâcher de ne pas s'envoler, le photographe hasarde un cliché {étonnamment horizontal}, puis nous nous envolons prestement pour nous mettre à l'abri. Ainsi s'achève notre vaine expédition au Bosque Petrificado de Sarmiento.
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Fort dépités, nous décidons de noyer notre chagrin dans une alternative délurée qui aura vite fait de raviver notre enthousiasme. Visite de la Granja San José.
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Quelle truculente attraction, assurément. Nous observons avec un bonheur non feint les plants de salades hydroponiques qui s'épanouissent avec autant de panache que de fantaisie.
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L'émotion est à son comble lorsqu'au terme de minutieuses explications nous contemplons le résultat de durs mois de labeur : un beau brin de salade amoureusement emballé dans un coquet pocheton de plastique.
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A regret, nous abandonnons les laitues à leur brillant avenir et faisons un détour par Sarmiento, bourgade faisant office de centre urbain de la colonie. Gato et Mancha hennissent de bonheur à notre approche.
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Résolus à parachever cette journée riche en péripéties, nous avisons ce qui pourrait bien être le clou du spectacle : l'ancienne gare ferroviaire, reconvertie en Musée Desiderio Torres.
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Je l'aurais parié ! Grâce au talent de la conservatrice, l'histoire des Tehuelches et des Mapuches, peuples originels de la région, s'anime par l'évocation de trépidantes anecdotes. Ainsi apprenons-nous que...
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...les jouets avaient un caractère sacré dans ces sociétés indigènes, s'identifiant aux âmes des enfants – en cas d'attaque ennemie, l'une des premières préoccupations des défenseurs était de cacher ces jouets, ou en dernier recours de les détruire, afin que les assaillants ne puissent s'en emparer.
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Autre curiosité : ces blocs délabrés, qui ne ressemblent à rien de particulier, sont en fait rien moins que de dodus bézoards, calculs gastriques aux vertus médicinales plus ou moins magiques, provenant présentement de l'estomac d'un guanaco.
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A ne pas confondre avec ces non moins rondelettes boleadores, pierres polies qu'un dextre mouvement de lasso peut envoyer entraver les jambes de quelque bétail en cavale. On ne leur connaît pas vraiment de vertu médicinale.
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Une reconstitution de pancarte anthropomorphe, criante de vérité, arbore un authentique manteau en cuir et plumes de choique, parent patagon de l'autruche. Chaud et élégant. La pancarte s'en trouve ravie.
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Au rayon des machines, voici d'abord celle à coudre – malgré son assemblage rudimentaire, ce métier centenaire jouirait aisément d'une seconde vie, si Mapuches et Tehuelches n'avaient depuis belle lurette adopté le jeans ;
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quant à la machine à laver, nous la devons aux premiers colons qui s'installèrent à Sarmiento, et apportèrent avec eux un vent de modernité tout bonnement ébouriffant.
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Le clou de l'exposition, cette frêle bannière ensoleillée, œuvre conjointe des colons, qui assemblèrent des lambeaux de draps, et des indigènes, qui peignirent le faciès incaïque avec des pigments de calafate1. Un rare exemple de syncrétisme en Patagonie.

1 Calafate : petite baie bleu violacé emblématique de la Patagonie, dont on fait de délicieux dulces.

Le périple « Un Festival de Palmes » n'est pas terminé ; poursuivez l'aventure !

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