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“Du bon usage de la parrilla”

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Bienvenue dans ce nouveau numéro de notre émission “Le Monde Mystérieux des Argentins” ! Aujourd'hui, l'Asado. Avec nous pour en parler : Jacky le Veau, qui a tenu à conserver l'anonymat en se déguisant en lama {nous respectons son choix}.
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Jacky, bonsoir ; vous êtes porte-parole de l'AAA, l'Association Anti-Asado, et vous souhaitez interpeller l'ONU sur le sort du bétail argentin ; c'est une revendication difficile, expliquez-nous votre combat.
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« Mon combat est le combat de tout un cheptel ! Nous voulons que la communauté internationale sache le génocide quotidien qui sévit en Argentine ! Nous pointons du sabot les tortures raffinées que l'on inflige à nos entrailles ! »
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« Car le bétail argentin subit la gourmandise de ces gauchos du barbecue qui dévorent annuellement 62 kilos de notre chair ! 62 kilos ! C'en est trop ! Nous crions halte ! Nous exigeons la fin de ces atrocités ! Nous...»
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Oui, je comprends votre désarroi, cher Jacky ; toutefois, votre condition de veau ne vous prédestine-t-elle pas, en somme, à... Jacky, s'il vous plaît, conservez votre calme, n'approchez pas tant de la caméra, Jacky, vous...
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« Debout, les damnés de la Pampa ! Debout, les forçats de la parrilla ! C'est la luuuuutte finaaaale ! Groupons-nous, et demain : l'Interbovine bouffera le genre argentin ! Allons bovins de la prairiiiii-i-euh ! »
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Chers téléspectateurs, nous avons repris le contrôle de la situation, l'incident est clos, Jacky le Veau a été maîtrisé. Nous retrouvons sans plus tarder notre envoyé spécial, chez Libertad ; cher Coco, me recevez-vous ?
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Oui, cher Titi, je vous reçois parfaitement, je suis actuellement au rayon Carnicería de l'hypermarché Libertad, n'en déplaise à Jacky le Veau ; je m'apprête à rencontrer Don Pocho, spécialiste incontesté de l'Asado.
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Don Pocho, bonjour ; vous publiez actuellement chez Rognons Presse votre dernier opus, Tout est dans la couleur du gras ; après le succès de L'Asado pour les Nuls, vous avez éprouvé le besoin d'affiner vos théories ?
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« Oui, car le gras est un sujet sensible, un motif perpétuel de confusion, de déception chez les novices de l'asado, qui ne savent pas choisir leur viande, et en conçoivent des traumatismes profonds ;
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tenez : cette viande, par exemple, en apparence appétissante, regardez-la de plus près, notamment la couche de gras qui l'enrobe, visez un peu cette teinte jaunâtre, subtile, certes, mais nette : du mauvais gras !
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Irrecevable pour le vrai gaucho que je suis ! Vous savez : je n'hésite pas à retourner tout le rayon, à foutre toutes les barquettes sens dessus dessous pour dénicher la perle rare, le gras juste ! »
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Ah, cher Don Pocho, je reconnais bien là l'exigence incorruptible qui caractérise votre approche scientifique ! En est-il de même pour les tripes ? Ce rayon me met l'eau à la bouche !
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« Pour les tripes, il faut être encore plus vigilant, et trier le bon rein de l'ivraie ; je connais de grands parrilleros qui se sont mordus l'intestin grêle d'avoir servi à leurs clients des testicules avariés ! »
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Merci, Don Pocho, merci pour ces détails... croustillants... je vais devoir rendre... je veux dire rendre l'antenne... {c'est le chariot qui tangue, ou c'est mon estomac ?}. A vous les studios, cher Titi...
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Merci, cher Coco, pour cette mise en bouche, ma foi fort appétissante ; j'espère que vous retrouverez vos couleurs très rapidement. Quant à nous, en attendant de nous transférer vers le patio pour...
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« Hasta la victoria siempre ! La vacherie vaincra ! L'AAA triomphera ! Libérez veaux, vaches et pourquoi pas les cochons ! Bouffez du lama, plutôt, c'est bon le lama, c'est plein d'enzymes salivaires ! Sus aux lamas ! »
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Tout va bien, restez calme, nous contrôlons parfaitement la situation, ce n'est qu'un trouble-fête qui finira bientôt sans foie ni noix, croyez-moi ! Pub ! Pub ! Une page de publicité, vite !
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PUB – « Au bureau, je mange des criollos caseros et je sirote mon maté correntino dans un beau kit misionero, parce que pour moi c'est important d'acheter et de consommer la production argentine ;
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alors faites comme moi : pour ma déco intérieure, nappes, rideaux, papiers peints, je choisis Tissus Malouines, aux couleurs argentines ! Tissus Malouines, c'est pas que pour les pingouines ! » – PUB
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Retour sur le plateau de MMA. On m'informe qu'un commando de l'AAA aurait pris d'assaut la Casa Rosada, à Buenos Aires ; nous interrompons momentanément notre émission pour un communiqué spécial.
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FLASH – « Le calme est revenu au Palais Présidentiel, il n'y aurait pas de victimes, si ce n'est la collection de sacs à main Vuitton de notre Présidente ; le commando voulait s'en prendre à l'industrie du cuir ». – FLASH1

1 Petite clarification pour les non-Argentins : la Présidente Cristina Kirchner, au pouvoir depuis 2007, est connue {et décriée} pour son goût du luxe, ses tenues coûteuses et ses accessoires fashionable ruineux, plutôt déplacés dans un pays en crise. Au point que le "V" de Victoire, qui est l'emblème du "Frente para la Victoria" {coalition politique qui l'a portée au pouvoir}, a été perverti en Vuitton par ses {nombreux} opposants. La photo, elle, est une authentique captud'écran télé...

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Nous espérons que Cristina survivra à cet attentat inqualifiable ! A l'évidence, elle a quelques ennemis dans le secteur agro-pastoral1... Nous collaborerons avec la justice, Jacky le Veau sera livré à la mazorca2.

1 La question était en effet d'une brûlante actualité lorsque nous avons concocté cet album : en mars 2008, l'Argentine a traversé une {nouvelle} grave crise politique et économique ; l'ensemble du puissant secteur “agropecuario” {cultivateurs et éleveurs} s’est soulevé contre le gouvernement et les mesures prohibitives qu'il entendait imposer pour endiguer l'inflation, en augmentant drastiquement les taxes à l’exportation {principale source de revenus des grands producteurs de soja}. S'en suivirent grèves, barrages routiers, manifestations, rétention des approvisionnements, etc., durant 3 mois. Le gouvernement finit par céder, bien malgré lui, suite au théâtral désaveu que lui infligea le propre vice-président de Cristina, Cobos, président du Sénat. Le début d’un grave séisme politique…

2 Organisation parapolicière à la solde de Juan-Manuel de Rosas {dictateur ignoble pour les uns, sauveur de la patrie pour les autres}, durant les années 1830. Particulièrement sanguinaire et dénuée de scrupules, elle est souvent considérée comme la première police politique.

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Toutes ces émotions m'ont ouvert l'appétit ! Il est grand temps de nous rendre sur les lieux de l'Asado : notre émission se poursuit dans un instant {et en très léger différé} dans le patio du Gran Paraná ; à vous mon cher Coco !
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Oui, mon cher Titi, comme vous le voyez, j'ai vomi un bon coup et ça va mieux ! Je me trouve maintenant dans le patio du Gran Paraná, à proximité de nos studios, et vous devinez derrière moi une agitation fébrile.
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Approchons, approchons, je découvre en même temps que vous le cadre des festivités à venir, quelle agitation ici, les préparatifs vont bon train, ces charmantes demoiselles semblent très affairées...
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Ah mais regardez qui voilà ! quelle invitée de marque ! la Reine de la Tapenade est venue prêter main forte ! Sans faillir, elle tartine cette délicieuse denrée, qui nous vient tout droit de France – ah la France !
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Mais je retrouve Don Pocho, qui a revêtu son plus beau costume de parillero, et qui déjà prend le contrôle de la parrilla. Don Pocho, s'il vous plaît, quelques mots, peut-être ? Comment cela s'annonce-t-il ?
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« Oh, eh bien, je crois qu'il est trop tôt pour se prononcer ; pour l'heure, voyez-vous, je procède à la salaison ; non, comme vous dîtes : je n'y vais pas de main morte : du gros sel, pas de chichis, hop-la ! ».
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« Attention, attention, ne restez pas là ; les cendres, c'est volatile ces choses-là, prenez garde à votre objectif ; oui : j'entretiens régulièrement le brasero, comme ceci, toujours quelques charbons sous le coude ».
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« Pendant ce temps-là, comme ceci, voilà, j'étends les morceaux de viande, là, bien serrés ; c'est pas la place qui manque, me direz-vous, mais la parrilla ça se soigne, ça s'ordonne ! ça se bichonne ! ».
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Permettez-moi une question, Don Pocho, avec votre permission, et sans vouloir vous offenser : je ne saisis pas bien : le brasero, à côté, c'est juste pour éclairer ? pourquoi la viande n'est-elle pas au-dessus du feu ?
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« Non mais vous sortez d'où, vous ? Vous voulez qu'on choppe tous un cancer de la molleja, ou quoi ? on fait pas de barbecue par chez vous ? Le feu : jamais sous la viande ! juste les braises ! regardez...»
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« vous voyez : des braises, uniquement des braises, ardentes, et la chaleur que ça dégage, la fumée, vous voyez, va pénétrer la viande, par en-dessus, sans risque de carbonisation, en douceur ! ».
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Mille excuses, Maestro Pocho, pardonnez ma maladresse, je tentais simplement d'aborder le sujet... dans un registre... humoristique, dirais-je... Ah mais je vois que vous avez rajouté quelques légumes !
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« Oui, tout à fait ; dites-donc, monsieur le reporter, rien ne vous échappe... Légumes “a la parrilla”, un régal, et voyez : je place quelques oignons à même le bûcher, vous m'en direz des nouvelles ! ».
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Quelle technique ! Quel savoir faire, Docteur Pocho ! D'où tenez-vous cette science prodigieuse ? « L'Asado, sachez-le, ne s'apprend pas dans les manuels ! Cela se transmet de père en fils ! ».
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Maintenant, il ne reste plus qu'à patienter, une petite heure, le temps que cette belle carne grille tendrement ! Don Pocho, confiant, s'autorise un petit Fernet bien mérité ! Nous l'imitons, bien évidemment.
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Ah mais voici que Don Pocho sonne déjà le rappel ! Branle-bas de combat ! Tous à vos postes ! Déjà, le Maître découpe les mollejas, ces délicieuses escalopes de ris de veau...
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Ah, quelle émotion ! Quel honneur pour moi que de me voir confier le réceptacle de ces divins mets ; vraiment, on se croirait à Olympie, aux temps jadis, sur l'autel de Zeus, après le sacrifice du noir taureau !
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Voyez à présent le grand prêtre officier avec équité, et distribuer les morceaux aux participants de ce banquet, réservant les abats aux doctes archontes. La fumée, elle, pollue le voisinage à défaut de régaler les dieux.
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Avec solennité, José offre une libation de shiraz, un Callia Magna sanjuanino, pure ambroisie, tandis que Cristián, en transe, rend les oracles d'Apollon sur son tabouret delphique. Zeus, quel festin !
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Allô les studios ? Cher Titi, me recevez-vous ? Allô ? Allô ? Je dois rendre l'antenne, sans ça ma tira de asado va refroidir, s'il vous plaît, cher Titi, une deux, une deux...?! A la mierda !?...
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« Quand les hommes vivront d'verdure, il n'y aura plus de misèèèèreuh, les parillas seront sans atours, mais nous nous seront morts, mon frèèèèè-reuh ! Dans la grande pampa de la vie, où il fallait que nous paissions... ».

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